Chats solitaires

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Astre

Trop de gens.

Beaucoup, beaucoup trop de gens.

Les humains grouillaient comme de la vermine dans les quartiers qui longeaient le port, noyant l'air dans un vacarme étourdissant de cris, de conversations, d'insultes et d'appels. Sans parler des odeurs... L'air salé de l'océan, plutôt agréable, peinait à se frayer un chemin à travers les relents de nourriture entassés sur les étals du marché, pollués par des essaims de mouches voraces.

Riza nous guida de toit en toit à travers ces miasmes désagréables. Si Calendre fronçait autant le nez que moi, la chatte ne semblait pas incommodé par les fumets de la citée. Aurait-elle perdu l'odorat ? Je le lui souhaitai presque.

Une heure après avoir quitté le palais, nous nous arrêtâmes en haut d'un toit un peu plus élevé, tout près de l'océan. Ignorant le chant de ce dernier, qui m'intriguait énormément, je me forçai à me concentrer sur le triste spectacle qui s'étendait en contrebas.

Six estrades étaient montées autour d'une large place ronde. Les passants allaient et venaient entre elles, ne s'arrêtant que pour crier un chiffre, un nom, ou discuter avec animation en tendant leurs doigts ici et là. Sur les estrades, des gens enchainés, parfois nus, parfois en haillons, étaient présentés à la foule par des marchands que je rêvais d'assassiner lentement.

— Celui-ci vient des terres du Nord ! criait celui qui se trouvait juste en dessous de nous. Regardez-moi ces muscles ! Et ce corps ! On dit que ceux du Nord sont réputés pour leur lubricité... Et c'est vrai ! Prenez ce bijou avec vous, vous ne le regretterez pas !

Tout doux, mon loup, souffla la voix de Neige dans mon esprit.

Sa main se posa sur mon épaule. Je m'aperçus que je m'étais mis à grogner sourdement.

J'aurais pu me trouver là... gémis-je en désignant les infortunés qui se pressaient en files derrière les estrades, surveillés par des dizaines de Charognards. Trainé pieds et poings liés au milieu de la foule, comme un moins que rien, un moins qu'humain...

Jamais, assena-t-il avec force. Jamais, Astre.

Une petite étincelle de magie traversa son esprit. Je lui adressai un regard surpris. Il me fit un clin d'œil, l'air légèrement féroce.

Quelques secondes plus tard, un cri retentit en contrebas, souligné par des dizaines de rires gras. L'estrade avait cédé sous les pieds de l'esclavagiste, qui l'avait traversé jusqu'à la taille et se trouvait coincé.

L'esclave profita du chaos ambiant pour s'éloigner subrepticement. Neige se concentra de nouveau. Cela devait être particulièrement compliqué, car je vis son front se plisser et ses doigts se crispèrent sous mon épaule.

Lorsqu'il relâcha son souffle, comme après un long effort, les chaines qui entouraient les poignets de l'esclave devinrent blanches, comme glacées, et se brisèrent. Il sursauta et regarda autour de lui, l'air ahuri.

Guidé par un étrange instinct, il leva les yeux vers nous. Son regard croisa le nôtre. Puis il s'enfuit et disparu pour toujours.

Tu es formidable, glissai-je dans l'esprit de mon humain, qui me renvoya un sourire en coin.

N'exagère pas.

Neige, mon amour, si nous étions dans un coin tranquille...

— Astre ! me rabroua-t-il à voix haute.

Mais le voir faire de la magie m'avait toujours émoustillé. Sa démonstration ramena dans ma mémoire l'image de Terdhome en feu, entraperçu à travers son esprit alors que j'essayai de ne pas me noyer. Puis une silhouette rouge dans la pluie, brisant ma prison d'un simple geste... Des gardes qu'il envoyait valser d'un air autoritaire... Neige était puissant. Et cette certitude faisait naitre quelque chose de très intéressant au creux de mon ventre. À explorer plus tard, certainement...

Le Garçon au chaperon rouge (MxM)Where stories live. Discover now