À découvrir (suite)

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Chapitre 2

Les demoiselles de Morvan descendent toutes les trois en même temps au salon. Julie a choisi une robe bustier ornée de dentelle dont le rouge rehausse le chatoiement de ses cheveux de feu. Bien que très en beauté, elle n'arrive toutefois pas à la cheville de Laurine, qui ressemble à un ange dans sa toilette crème. Mélodie, quant à elle, a opté pour une tenue verte très simple et élégante, qui ne convient toutefois pas à son teint. Plus que jamais, on dirait un fantôme.

— Vous vous contenterez de faire les potiches, d'obéir aux ordres, et surtout, de la fermer, nous lance Julie d'une voix menaçante.

Elle pose alors les yeux sur moi et me fixe avec attention, comme si elle venait de découvrir quelque chose d'étrange sur mon visage.

— Toi, me dit-elle en plantant son ongle dans ma poitrine, tu vas te changer, enfiler un pantalon et t'occuper d'Estella. Tu la brosses et tu la selles. J'aurai besoin de monter en fin d'après-midi pour me remettre de toutes les merveilles que me réserve cette journée.

Elle soupire d'aise, les yeux rêveurs, puis reprend brutalement :

— Bouge-toi ! Je ne veux pas qu'ils t'aperçoivent, quelle honte tu nous ferais !

Je sens un curieux sentiment bouillonner en moi, mélange de rage et d'humiliation. Je lance à la maîtresse de Lucie un sourire suffisant, qu'elle ne semble même pas entrevoir, avant de gagner notre chambre pour me changer rapidement. Je me faufile ensuite dehors par la sortie de service. J'ai bien remarqué les regards peinés de Sylvia et de Lucie. J'aurais voulu les rassurer d'un signe de tête, mais j'ai eu peur que Julie en profite pour attiser à nouveau ma colère.

Je ne dois pas perdre ce travail sans lequel je serais à la rue. À dix-sept ans, je sais bien que l'orphelinat ne me reprendrait pas. Et lors de mes visites au marché du village de Serteig, quand les sœurs me chargeaient de faire les courses, il m'était impossible d'ignorer les mendiants, ces gens faméliques qui mouraient à petit feu. Je pouvais lire le désespoir ou la résignation dans leur regard. J'essayais alors d'imaginer le calvaire qu'ils devaient vivre, tout en étant sûre que la réalité était encore bien pire. Ici, j'ai de quoi manger et dormir, et j'ai conscience que c'est une chance. Toutefois, comme n'importe quel humain, je ne peux m'empêcher d'aspirer à mieux, à des choses simples pourtant, et malgré tout hors de portée. Je voudrais être libre, avoir ma maison, ma vie.

Quand j'arrive dans les écuries, Estella me regarde à travers les barreaux de son box, l'œil torve. Cette jument est malheureuse. Julie ne la monte que rarement, parce qu'elle n'a soi-disant pas de temps à lui consacrer. J'aimerais beaucoup m'occuper d'elle au quotidien, mais il est certain que sa propriétaire ne me fera jamais ce plaisir.

Je sors la jument de sa stalle, puis attache la longe à un anneau de la large allée centrale pour la panser. J'adore démêler ses longs crins blancs et lustrer son poil immaculé. Prendre soin des chevaux m'a toujours apaisée, je ne pense plus à rien quand je suis auprès d'eux.

— C'est une bête magnifique, lance une voix dans mon dos.

Je sursaute, laisse échapper ma brosse et me retourne. Un jeune homme en costume sombre se tient devant moi. Il retire son chapeau par politesse, comme il convient de faire lorsqu'on salue une Dame, tout en s'excusant avec un sourire amusé :

— Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous effrayer.

— Ce n'est rien, je réponds d'une voix tremblante.

À son maintien et à ses vêtements, je peux déduire sans mal que je me trouve en présence de l'un des princes. J'en suis terriblement gênée. Que fait-il dans les écuries ? Il devrait être au Manoir ! Me prendrait-il par hasard pour l'une des trois prétendantes ? Non, impossible, mon allure ne masque rien de mon statut.

NARCISSE (ÉDITÉ !) ( ROMANCE HISTORIQUE SLOW BURN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant