Chapitre 23

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Nathan me tient dans ses bras. Sans un regard pour les autres. Peu importe Sarah qui nous observe d'un air choqué, peu importe Céline qui tente de trouver des paroles rassurantes. Peu importe le monde entier.
Mon monde à moi s'effondre.
Je hurle. C'est la seule chose dont je suis capable. Hurler. Alex… Qui aurait pu imaginer…

Les larmes se mélangent aux cris.
Et puis, les cris finissent par s'éteindre. Pour laisser place à des supplications. Des murmures.
Qui s'éteignent. A leur tour.

Et soudain, c'est le silence.

***

Une heure et demi plus tôt.

Nathan conduit. A ses cotés, Sarah.
Ce n'est pas une vision agréable, croyez-moi. Mais je n'ai pas le choix. C'est elle qui le guide sur la route. A gauche, à droite. Encore une fois, c'est elle qui dirige.
Mon inquiétude pour Alex s'intensifie de seconde en seconde. Cela ne fait que quelques heures qu'il a disparu mais je suis incapable de me calmer. Et s'il était réellement arrivé quelque chose ?

Céline n'a pas l'air extrêmement rassurée non plus. J'essaye d'imaginer ce qu'elle pense. Probablement la même chose que moi. Tous deux sont très proches, surtout depuis que je passe la moitié de mon temps avec Nathan, ou du moins à parler de lui. Et ils étaient déjà amis l'an dernier. Ils ont vécu tant de choses ensemble, sans doute. Et maintenant, il disparaît sans la prévenir. Elle doit se sentir trahie. Et c'est ma faute.

Sarah ne nous emmène pas bien loin, à peine à quelques minutes du lycée en voiture. Alex doit pouvoir y aller à pieds comme en scooter. En plein milieu de la ville, l'endroit n'est pas facile à trouver. Sarah nous fait signe de passer derrière une maison qui paraît totalement abandonnée, les volets grinçants et le toit délabré qui menace de s'effondrer sur nous au moment où nous passons. Comment Alex peut-il apprécier cet endroit ? La grille qui donne sur le jardin de la maison en question est totalement rouillée, et une grosse chaîne la ferme avec un cadenas. Mais Sarah défait le tout d'un geste d'expert, et je comprends que le cadenas n'est qu'une feinte. Personne ne s'aventure ici puisque tout paraît fermé à clé. Mais ça ne l'est pas, il faut juste le savoir. Nous marchons encore quelques pas dans le jardin de la maison puis tournons derrière ce qui devait être l'ancienne cabane de jardin. Et là, je comprends d'un coup pourquoi Alex aime être ici. L'herbe a continué à pousser, mais sans réelle mauvaises herbes. Des pierres, sans doute jetées là comme dans une déchetterie, ont été replacées pour former un petit banc. Le soleil éclaire ce petit coin, mais un arbre vient ombrager le tout. En un mot : c'est agréable. Nous sommes bien.

Mais Alex n'est pas là.

Je me tourne vers Sarah :

- C'est ici ?

Elle hoche la tête et explique doucement :

- C'est là qu'Alex venait quand ses parents se disputaient, avant qu'ils ne divorcent. Il ne supportait plus de rester chez lui. Dès qu'il avait besoin de réfléchir, il venait ici.

Je rougis. Je ne savais même pas que les parents d'Alex étaient séparés. Qu'ai-je pu louper d'autre ? Mais je n'ai pas le temps de m'en préoccuper car Sarah reprend la parole :

- Je pensais vraiment qu'il serait là. Il m'y a emmenée une fois, quand nous étions en seconde. On y a passé un bon moment, et puis la pluie s'est mise à tomber… On a fini trempés, tentant de nous réfugier dans la maison abandonnée. Mais c'était tellement flippant qu'on a pas osé y entrer… C'est bête non ?

Elle n'attend visiblement aucune réponse. La laissant à ses souvenirs, nous n'osons pas dire quoi que ce soit.

- Je n'oublierai jamais, murmure-t-elle ensuite.

Nathan fait soudain un geste qui me choque.
Il lui pose la main sur l'épaule.
Pas dans un geste d'affection, rien qui puisse me rendre jalouse.
Mais dans un geste de soutien. Il l'a toujours aidée à tourner la page avec Alex, et une nouvelle fois, il se sent obligé de reprendre son rôle.

Mais Sarah recule comme si on l'avait brûlée.

- Enfin bref, c'est du passé tout ça, fait-elle d'une voix forte qui contraste avec la douceur dont elle faisait preuve une seconde auparavant.

La reine a remis son masque. Je la regarde sans rien dire. C'est Céline qui prend la parole :

- Tu as une autre idée ?

Sarah hausse les épaules.

- Non. S'il n'est pas là, alors je ne sais pas où il peut être.

Eh bien, on est avancés avec ça… Céline a un regard vide. Durant plusieurs secondes, aucun de nous ne parle. Et soudain, Céline s'avance. Droit vers la maison. Je lui attrape le bras.

- Tu fais quoi ?

Elle me lance un regard et ce que j'y vois me serre la gorge. Du désespoir. Un désespoir comme je n'en ai jamais vu.

- Alex m'a récemment dit qu'il devait vaincre ses peurs. Toutes ses peurs. C'est pour ça qu'il est allé vers toi pour t'embrasser. C'est pour ça qu'il t'a emmenée voir M. Stevan alors qu'il était terrifié par sa réaction -et par la tienne- après ce qu'il avait fait. Et s'il avait peur d'aller dans cette maison, alors…

Je comprends tout à coup et regarde la grande bâtisse. Alex serait là-dedans ? Si c'est le cas, il est totalement fou. C'est vraiment flippant. J'acquiesce mais Céline n'a pas fini. Elle s'approche de moi et me murmure à l'oreille des mots qui me glacent le sang :

- J'ai peur qu'il ait fait une connerie, Joy.

Je comprends alors le désespoir dans ses yeux. Désespoir et terreur. Et brusquement, ma peur redouble à son tour. Mais je ne peux pas la laisser s'inquiéter aussi. Si je m'effondre, elle ne tiendra pas non plus. Je lui lance un sourire un peu grinçant.

- Mais non, tu connais Alex… Il est plus fort que ça, il est plus fort que tout.

Céline me regarde, et sans un mot de plus, s'éloigne à grands pas vers la maison. Je me tourne vers Sarah et Nathan qui attendent à quelques pas de nous et leur désigne la bâtisse d'un air résigné, avant de rejoindre Céline en courant légèrement. Nous parcourons en silence les quelques pas qui nous séparent de cette fameuse maison. Je suis étonnée que le lieu n'ait pas été transformé en squat depuis le temps qu'elle paraît abandonnée. Mais la porte d'entrée ne bouge pas quand je tente de la pousser. Sarah me fait signer de me pousser et se lance violemment contre la porte, en vain. Soit elle est fermée à clé, soit le temps l'a totalement bloquée. Mais dans tous les cas, Alex n'a pas pu passer par-là.

- Tentons de passer par l'arrière, suggère Nathan.

Nous faisons à nouveau le tour de la maison à la recherche d'une seconde porte. Effectivement, il y en a une qui doit probablement donner sur ce qui est le salon, vu ce que nous pouvons distinguer à travers les rideaux déchirés aux fenêtres. Une nouvelle fois, j'actionne la poignée, mais rien ne bouge pas.

- Putain ! m'exclamé-je avec rage. Mais tout est fermé ici, ou quoi ?
- Peut-être qu'Alex n'est pas ici et que ce n'est qu'une vulgaire maison abandonnée… propose Nathan. Ca ne sert à rien de s'acharner, on fait peut-être fausse route.

Je me tourne vers lui d'un air furieux.

- Et il est où alors, s'il n'est pas ici ? Tu critiques mais tu ne proposes aucune solution ! Tout ça, c'est de ma faute, s'il est parti, c'est de ma faute… Et toi, tu...
- Ca t'arrive souvent de tutoyer tes profs, Joy ?

C'est Sarah qui vient de me parler. Ma colère se retourne contre elle.

- Et alors, ça te fait quoi ? Je croyais que t'étais tellement sûre qu'il y avait quelque chose entre nous ! T'es vraiment obligée de fourrer ton nez partout, hein. On est là en train de paniquer parce qu'Alex a disparu, et tout ce que tu trouves à faire, c'est t'offusquer sur le fait que je parle comme ça à Na… à M. Stevan ! Mais tu sais, les amis se tutoient aussi. Enfin, tu me tutoies mais on est pas amies, alors…

- J'ai trouvé quelque chose.

La voix calme de Céline me ramène sur terre. Emportée par ma haine, je ne m'étais même pas rendue compte qu'elle s'était éloignée. Mais elle est allée voir du côté de la maison que nous n'avions même pas vérifié. Je la rejoins en courant.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Elle désigne une petite fenêtre en bas du mur.

- Ce soupirail, là, c'est possible de passer dedans.

Je hausse un sourcil. Il y a effectivement une fenêtre à quelques centimètres du sol, probablement pour laisser passer un peu de lumière dans le garage. Je m'accroupis et pousse les deux battants de la fenêtre vers l'intérieur. A ma grande surprise, ils s'ouvrent. Je me tourne vers Céline.

- Tu crois qu'il serait vraiment passé par-là ?

Elle hausse les épaules.

- Le connaissant, c'est bien possible. C'est difficile de la repérer, cette entrée, mais vu le nombre de fois où il est venu ici…

J'acquiesce et commence à passer mes jambes par l'ouverture. Nathan, qui nous a rejointes avec Sarah, m'attrape alors par le bras d'un air affolé.

- Euh, tu nous fais quoi là, Joy ?

Je tourne la tête vers lui et le regarde d'un air de défi.

- Je vais chercher mon ami.
- Pas toute seule. Je viens avec toi.

Je hausse les épaules.

- Tu peux. Ou alors tu peux me laisser régler mes affaires toute seule avec lui, parce qu'on se connaît mieux et qu'il me fait confiance.

Sarah lâche un petit rire.

- Il te fait confiance ? A toi ? Laisse-moi rire. Tu lui as montré que tu ne voulais pas de lui, tu crois vraiment qu'il te fait confiance ?

Je fronce les sourcils.

- Oui. Il n'est pas du genre à laisser tomber ses amis parce qu'il est blessé…

Sarah me regarde d'un air désolé.

- Je pensais que tu le connaissais mieux que ça. Quand il est blessé, Alex fait tout pour s'éloigner des gens qui lui ont fait du mal. Et il s'enferme dans sa haine, jusqu'à ce que l'envie de vengeance passe. J'en suis la preuve vivante.
- Tu racontes n'importe quoi…
- On verra bien. Laissons-les régler leurs affaires, lance-t-elle à Céline et Nathan.

Céline ouvre la bouche, puis la referme. Je sais qu'elle veut venir mais elle semble peser le pour et le contre. Finalement, elle hoche la tête.

- Fais attention à lui, Joy.
- Et à toi.

Nathan ne m'a pas lâché le bras, et l'a justement serré en prononçant ces mots. Je lui accorde un demi-sourire et fais totalement passer mes jambes par le soupirail. En me penchant en arrière, je parviens à passer sans trop de souci et arrive dans le garage. Enfin, ce que je suppose être le garage puisqu'il fait noir dedans, malgré le peu de lumière que diffuse le soupirail.

- Ca va ? demande la voix de Nathan à l'extérieur.
- Sans problème.

Je sors mon portable et active la lampe de poche. En regardant autour de moi, je constate qu'effectivement, je me trouve dans une cave où des boites poussiéreuses sont posées sur des étagères. Mais je n'y accorde que peu d'attention, trop inquiète pour Alex. Je distingue un escalier à ma droite et gravit doucement les marches en faisant attention à ne pas tomber. En atteignant la porte, j'avise une énorme araignée près de la poignée et me retient de hurler. Non seulement c'est flippant, mais en plus il y a des mygales. Génial. Avec une grimace, j'actionne la poignée et pousse la porte du pied. L'araignée ne bouge pas, et je passe à quelques centimètres d'elle en tremblant. Sérieusement, je suis terrifiée par ces trucs. C'est stupide, mais c'est bien ma plus grande phobie. Je claque la porte derrière moi et m'aperçois que le couloir dans lequel je me trouve est un peu plus éclairé, malgré les rideaux déchirés aux fenêtres. Je préfère ça.

- Alex ? l'appelé-je doucement.

Je guette un bruit, une réponse, un appel. Mais rien. Soit Alex ne m'entend pas, soit il n'est pas là, soit il m'ignore. Je ne sais pas ce que je préfère. Mon portable vibre.

« Nathan. <3

Toujours en vie ? »

Je tape rapidement que tout va bien mais qu'il n'y a pas trace d'Alex. Je commence à fouiller toutes les pièces du rez-de-chaussée, en vain. Il n'est pas là. En soupirant, je me prépare à monter le deuxième escalier pour monter au premier étage, mais un grincement en haut me fait manquer un battement de coeur.

Et si ce n'était pas Alex ? Et s'il y avait un psychopathe qui vit là ? Je ne crois pas aux fantômes, par contre je crois totalement aux squatteurs un peu pervers qui vivent dans des maisons inhabitées… Brusquement, je regrette d'être seule et de ne pas avoir accepté que l'un des autres vienne avec moi. Revenant doucement sur mes pas, je rentre dans la cuisine et ouvre les tiroirs du grand buffet qui est resté là, à la recherche de couteaux pointus ou je-ne-sais-quoi. Pas de chance, il n'y a que des fourchettes sales et un couteau à bout rond. En soupirant, je le prends quand même. C'est sûr que ce n'est pas comme ça que je me défendrai, mais c'est mieux que rien...

Prenant mon courage à deux mains, j'avance doucement vers l'escalier. Je retiens mon souffle et tente de ne pas faire de bruit, mais l'escalier grince parfois. Dans ma main, le couteau tremble. Je me rends compte du ridicule de ma situation et un sourire nerveux me monte aux lèvres. Finalement, je parviens sur le seuil de l'escalier. Il n'y a plus un bruit. A ma gauche, deux portes sont fermées, mais la porte au bout du couloir à droite est ouverte. Je sens mon coeur battre plus vite et commence à faire quelque pas en direction de la porte ouverte. Quand je ne suis plus qu'à un mètre, je m'arrête et tends l'oreille. Le silence, encore.

En retenant ma respiration, je fais un pas de plus.
Puis un deuxième.
Et un dernier.

Et soudain, une forme se jette sur moi et me fait tomber en arrière. Ma tête cogne le parquet et je me mets à hurler.

Déchirure -Relation prof-élève-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant