Tome 2 - Chapitre 24

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— Le patron a ordonné que tu ne bouges pas !

Je sais maintenant que la situation est anormale, je sens une pression autour de moi, la tension est à son comble. J'entends des pas se hâter dans mon dos et des voitures s'approcher par le chemin que nous avons emprunté. Nous sommes faits comme des rats. Je n'ai pas d'autres solutions que de le crier à mes compagnons. J'y mets tout mon cœur, toutes mes tripes et je hurle le plus fort possible :

— C'est un piège ! Allez-vous-en...

Je n'ai pas le temps de finir que je me prends un coup sur la tête qui me fait aussitôt perdre connaissance. Je tombe sur le champ.

Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi, c'est le goût âpre du sang qui m'oblige à réagir. J'ai terriblement mal à la nuque, mais en voulant passer mes doigts dessus, je me rends compte que je suis attaché les mains dans le dos, sur une chaise. Les rugissements de Tito qui ne cesse de proférer des insultes me tirent une bonne fois pour toutes de mon état léthargique. J'ouvre les yeux et découvre face à moi mes deux frères ainsi que Yankee tous les trois assis et ligotés.

— Tais-toi, vermine ! hurle une voix que je connais pour forcer Tito à la fermer.

Puis un coup de poing claque et j'aperçois son visage sanglant. Armés jusqu'aux dents, une dizaine d'hommes de main du Requin nous entourent. Nous n'avons aucun moyen de nous échapper. Nous sommes dans de beaux draps tous les quatre et je songe que tout est de ma faute.

— Comment vas-tu, Scar ? m'interroge la même voix grave et insupportable, cachée derrière moi.

Il ne s'agit pas du Requin, j'hésite quelques secondes avant de me souvenir.

— Hubert ? Où est le Requin ?

— Je travaille pour lui depuis quelques temps !

Je cherche à déterminer ce à quoi il fait allusion et j'en conclus qu'il a dû reprendre mes affaires au moment de ma fuite.

Je sens sa respiration rapide et son haleine puante se rapprocher, mais ligoté sur une chaise, il m'est impossible de me lever. Je me débats et tente de défaire les liens qui oppressent mes poignets. Rien n'y fait, c'est sans espoir, je n'arrive pas à me détacher, je ne peux que relever la tête pour montrer que je n'ai pas peur, que je ne suis pas un lâche. Un garde m'assène un coup tellement violent dans le ventre qu'il fait basculer ma chaise et je me retrouve face contre terre, avalant au passage la poussière du sol humide.

Je me souviens maintenant qu'Hubert travaillait pour le Requin avant nous, c'est même lui qui nous avait donné son contact. Je me remémore très vite toute l'histoire. Je repense à ce foutu contrat, aux voitures volées et aux prémonitions de Picouly.

— C'est toi qui as fait disparaître Stazeck ?

Hubert ricane, le sol vibre sous ses pas lourds qui s'agitent et je reçois en pleine face la terre que dégage chacun de ses mouvements. Il est juste au-dessus de moi et pointe le canon d'un pistolet dans ma direction.

— Tu es encore trop naïf, Scar ! J'ai fait ce que tu aurais dû faire depuis longtemps, ce que le Requin m'a personnellement ordonné.

Nous y sommes, la vérité éclate enfin. Le Requin est responsable de la disparition de Stazeck, mais pourquoi et à quel moment Hubert est-il revenu dans l'histoire ?

— D'ailleurs, reprend-il d'un ton fier et assuré, je me suis entrainé à tirer avec la main qui me reste sur ton ami ! Ce sale traître qui nous a tous vendu aux flics...

Je pose mes yeux sur sa main manquante et je comprends aussitôt qu'il va me tuer. Je le sens dans sa voix déterminée à se venger de ce que je lui ai fait subir quelques années plus tôt. Je l'ai privé d'Agnès, j'ai ruiné ses affaires, je lui ai tranché la main. Il m'exècre depuis le collège, depuis notre bagarre. Aujourd'hui, il est plus que tout prêt à m'anéantir, à exterminer le gitan qui lui a donné une leçon et l'a défiguré devant Agnès, devant sa cour de petits bourgeois. Je n'ai eu de cesse de lui tenir tête, de le ridiculiser devant ses hommes au restaurant lorsque nous faisions affaire, puis il y a eu le coup final quand je me suis introduit chez lui pour lui trancher la main. Je sens sur moi sa haine incommensurable.

Je n'ai pas peur. Je songe que je n'ai rien à perdre jusqu'à ce que j'entende l'écho de coups de feu qu'un homme tire au-dessus de moi pour m'intimider.

Hubert pose un pied à côté de mon visage et m'envoie de la terre dans les yeux.

— Redressez-le ! Je veux qu'il savoure le spectacle, qu'il regarde, qu'il voie ce que cela fait de perdre ce que l'on a de plus précieux.

Deux hommes me relèvent et remettent ma chaise droite pendant que le rire d'Hubert résonne dans le hangar. Puis, il s'avance vers Yankee, qui ne bouge pas d'un pouce. Raide, la mâchoire crispée, il contemple le vide droit devant lui. Apercevant Hubert braquer l'arme sur la tempe de Yankee, je demande désespéré :

— Qu'est-ce que tu veux Hubert ? Je ferai tout ce que tu voudras. Laisse-les partir, ils n'y sont pour rien dans nos histoires.

Je ne reçois pour seule réponse que le déclic du chargeur de son révolver qu'il enclenche avec son moignon avant de pointer le canon sur la tempe de mon beau-frère.

— Le sang de tes morts, Hubert ! hurle Tito qui s'agite pour tenter d'intervenir.

Il est aussitôt immobilisé par un homme qui le frappe au visage. Paco frémit et tout son être se tend. Je lis sur sa figure la douleur de voir son frère souffrir. Celui qui a toujours été là pour nous protéger ne peut plus rien faire, et cela à cause de mon ambition démesurée. Cette fois-ci, j'en suis persuadé, c'en est fini pour nous.

— Scar, je veux que tu regardes tes frères mourir un à un !

— Hubert, ne fais pas quelque chose que tu pourrais regretter...

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant