2 Joana

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Je sens qu'ouvrir les paupières va être une épreuve. J'ai mal au crâne, la gorge sèche et de la peine à déterminer ce qui a le plus de difficulté à passer : l'alcool ingurgité ou le contenu de cette lettre.

Même si ça m'a pris du temps, j'ai fini par m'endormir. Alors que je repousse encore le moment d'ouvrir les yeux, mon portable vibre. Je le cherche à tâtons et l'extirpe des plis de la couette. Regarder le message de Sonia qui s'affiche est aussi douloureux que prévu, c'est comme si la luminosité de l'appareil se répercutait directement sur mon cerveau. Mon amie m'annonce qu'elle est rentrée chez elle parce qu'elle bosse aujourd'hui, et que Karine l'a suivie. Je lui réponds avec le GIF d'un chat qui a l'air passablement ennuyé avant de vérifier mes réseaux sociaux. Mes stories d'hier ont de bonnes statistiques, mission réussie.

Il n'est pas loin de 17 heures lorsque je me traîne jusque dans la salle de bains, après une tripotée de mails envoyés. Qui a dit que c'était de tout repos d'être influenceur ? Je passe mon temps à stresser que tout s'arrête du jour au lendemain. Heureusement pour moi, j'ai des partenaires fidèles à la reine des abeilles et sa ruche.

Une fois prête, j'avale une soupe chinoise sur le pouce. Ce soir, je sors. Hors de question que je reste toute seule ici.

***

J'adore Paris la nuit, et particulièrement son silence approximatif. Le calme m'angoisse, j'ai besoin de rester en mouvement pour éviter d'être rattrapée par mes démons.

Mes copines et moi nous arrêtons à une intersection, portables en main, ouverts sur l'application Uber. Merci à la carte bleue de mon ex, toujours enregistrée dessus, qui m'offre régulièrement des trajets.

— Girls, merci d'être venues, j'ai adoré ce set du DJ, m'exclamé-je.

— Tu sais qu'on traîne avec toi juste parce que ton statut d'influenceuse nous donne

accès aux soirées les plus prisées de la capitale ? demande Karine avec un sourire en coin.

— Absolument. Et j'espère avoir votre reconnaissance à vie pour ça.

— Tu l'as, bébé ! répondent-elles à l'unisson avec Sonia.

Deux petites sonneries nous font baisser les yeux sur nos écrans respectifs.

— Ah ! C'est le mien, précisé-je en ouvrant la notification. Voilà, Jean-Philippe Mohamed.

Quel drôle de prénom !

— Raaah ! Le mien est à l'autre bout de la rue, il est sérieux ? J'ai douze centimètres de

talons, merde ! râle Sonia. Bisous, les filles ! Rentrez bien.

— Toi aussi ! N'oublie pas le SMS ! Toi non plus, Jo, qu'on ne s'inquiète pas ! Pas comme l'autre fois...

Une fois arrivée chez moi, j'actionne la lumière de l'entrée, mais elle reste plongée dans le noir complet. Je fronce les sourcils et appuie à nouveau sur le bouton. Rien. Je m'acharne un moment puis, grâce à la lampe torche de mon téléphone, j'avance dans l'appartement. Je libère mes pieds des escarpins tout neufs qui, même si chaque nana croisée ce soir me les enviait, m'ont torturé la voûte plantaire.

Dans le tiroir à couverts, je déniche une bougie chauffe-plat que je pose sur la table du salon après avoir poussé par terre ce qui traînait dessus. Ne pas avoir payé sa facture d'électricité à son marchand de sommeil et être punie n'empêche pas de passer un bon moment. Je sors mon briquet de mon sac — celui qui me sert uniquement à donner du feu aux mecs qui en demandent, parce que je ne fume pas — et je l'actionne. Quelques étincelles jaillissent, mais pas de flamme. Après plusieurs tentatives vaines, il traverse la pièce, accompagné de la bougie. Voilà comment mon appart termine sens dessus dessous, même quand je range.

Queen BeeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant