Chapitre 24-2

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Après un après-midi à écouter les remontrances du juge Gibson dans son bureau, c'était au tour d'Emilio de m'accabler de reproches. Calé au fond du fauteuil, ses paroles me parvenaient de très loin. Je me refaisais le film de cette matinée qui avait complètement dérapé. Tous mes souvenirs de ces derniers mois à East Harlem semblaient soudain ternis par cette fichue bagarre déclenchée par cet enfoiré de Mora. Le juge n'en resterait pas là, il avait été très clair. D'ici les prochains jours, la sanction tomberait pour moi comme pour Paolo.

— Tiens, mets ça sur tes poings.

Emilio m'avait apporté des poches de glaces. Il s'assit sur le canapé, l'air préoccupé.

— Arrête de t'en faire.

Agacé par mon calme apparent, il me provoqua :

— Gibson ne va pas te lâcher. Et s'il décidait de te remettre en taule ? Putain, pourquoi n'as-tu pas réfléchi ?

— C'est lui qui m'a attaqué en premier. Il y a des témoins. Je n'ai fait que me défendre.

Il s'emporta de plus belle :

— Te défendre ? Tu l'as massacré !

J'esquissai un petit sourire.

— Emilio, tu te fais trop de soucis pour moi. De toute façon, nous ne pouvons pas revenir en arrière. C'est fait. Paolo est au courant pour Blue et moi.

J'exhalai un soupir avant de baisser mon regard sur la poche de glace. La mélancolie remplaça le mépris dans ma voix :

— Le pire, c'est que je ne lui en veux même pas. J'aurais réagi comme lui si j'avais appris que quelqu'un avait posé les mains sur Blue. Je serais devenu fou, je t'assure.

Mon téléphone, posé sur la table, sonna. C'était Frederick. Je n'avais pas envie de lui répondre maintenant. Je me doutai que Fox, mon avocat, l'avait mis au courant de mon altercation avec Mora. Quand la dernière sonnerie retentit, Emilio rejeta sa tête en arrière et déclara avec fatalisme :

— Tout cela va mal finir. Je le sens. Tout est contre vous.

Mon expression s'altéra petit à petit. Il y avait, dans ses mots, une vérité terrifiante. Un silence s'installa entre nous jusqu'à ce que l'on frappe à la porte. Je me levai et partis ouvrir.

Blue était là, les yeux gonflés par les larmes. Inquiet, je détaillai son visage et son cou. En apercevant les marques de griffures et les bleus sur sa peau, la colère traversa mon visage. Elle secoua vigoureusement la tête.

— Ce n'est rien. Mon entretien avec Shelby ne s'est pas très bien passé, lâcha-t-elle pour faire redescendre la pression qui montait en moi.

Je me sentais tout un coup affreusement coupable. Je n'avais pas réfléchi aux conséquences en embrassant Blue devant tout le monde, hier soir. Sans attendre d'être invitée, elle entra dans l'appartement et salua poliment Emilio de loin, qui lui demanda si elle aussi, avait besoin de poches de glace. Blue ne put retenir un petit sourire en déclinant sa proposition.

Je l'entraînai dans ma chambre. Mon intuition me disait qu'elle était venue pour me parler. Je n'étais pas serein.

Elle alla se placer près du bureau en jetant un rapide coup d'œil circulaire autour d'elle puis baissa les yeux pour ne pas croiser mon regard. Je la rejoignis et enroulai mes bras autour de sa taille. Vidée de toute son énergie, elle posa sa tête contre moi avant de se décider à parler :

— J'ai vu le juge, ce soir, murmura-t-elle. Il voulait comprendre.

Le silence était troublé par la fête qui battait son plein dans les rues aux alentours.

— Que lui as-tu dit ?

Blue, le visage toujours collé contre moi, resta un moment silencieuse puis poussa un long soupir avant de répondre :

— Tout. Il sait tout.

Elle s'écarta de moi et contre toute attente, me repoussa des deux mains.

— C'est Manuela qui s'occupera de toi ces prochains jours. Je suis dessaisie de cette mission. Je ne sais pas comment, mais j'ai convaincu le juge que tu avais changé. J'ai signé le formulaire. Tu seras libre la semaine prochaine.

Puis sans prévenir, elle fondit en larmes pour la première fois devant moi.

— Tu peux partir, faire ta vie et oublier. M'oublier.

Désarmé face à sa tristesse criante, je me sentis défaillir.

— C'est impossible, je ne pourrai jamais t'oublier. Tu m'as sauvé. Tu m'as fait toucher un bout du ciel. Viens avec moi. Partons ensemble.

Ma voix n'était plus qu'une supplique. Nous nous regardâmes un long moment sans rien dire, envoutés par ce silence qui nous enveloppait. Je gravai chaque trait de son visage. Je gravai dans ma mémoire sa beauté, ses longs et épais cheveux noirs, sa silhouette légère et ses yeux qui m'avaient absorbé à la seconde où je l'avais vue, assise dans la salle de classe de Julieta.

N'y tenant plus, je m'approchai d'elle et nichai mon visage dans son cou.

— Es-tu venue pour me dire au revoir ? demandai-je, redoutant la réponse.

— Non.

Je soufflai, rassuré. L'envie de me noyer, de me perdre en elle, était à cet instant plus fort que tout. La seule chose qui m'importait, c'était d'être avec elle. Je glissai mes mains sous son pull pour le lui retirer. Elle se laissa faire. Je la soulevai ensuite pour l'asseoir sur le bureau et lui donnai un baiser, d'abord timoré, puis de plus en plus passionné. À son tour, ses mains se faufilèrent sous mon tee-shirt pour venir caresser mes abdominaux.

— Rien ne changera jamais, Blue, soufflai-je entre deux baisers.

Burn, beautiful Crow ( Version Française )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant