Mois 7 / Semaine 1

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Depuis la visite du médecin, nous avons continué de longer les côtes africaines dans une atmosphère très tendue entre moi et mon capitaine. Nous ne nous adressons que peu la parole, se contentant de quelques banalités lorsque nous nous croisons. Je sais que parfois, le soir, alors qu'elle me croit endormie, Cléo entre à contrecœur dans sa cabine et s'assoit sur la chaise de bureau, m'observant pendant de longues, très longues minutes. Elle ne bouge pas, ne dit rien, restant simplement dans son silence à me regarder dormir et écouter ma respiration. Quand elle en a marre, la lune est souvent assez haute pour me laisser comprendre que la moitié de la nuit est passée, elle se lève et rejoint ma cabine pour dormir.

Durant les journées, je sens son regard sur moi, bien qu'elle ne m'aborde jamais. Elle se contente de m'observer lorsque je prépare à manger et sers l'équipage et lorsque je flâne sur le pont pour me passer le temps. Si j'ose une œillade vers elle, je la vois souvent se tourner rapidement, cherchant à ne pas se faire remarquer alors qu'elle m'espionne.

Mon cœur saigne de cette situation et, si l'état psychologique est inquiétant, ça ne s'améliore pas non plus sur l'état physique. Les nausées se sont calmées, me laissant manger et prendre des forces mais la fatigue, elle, semble me poursuivre. Et tout cela sans compter mon ventre qui, en moins de deux jours à gonfler comme les voiles d'un bateau sous le vent. Je me retrouve soudainement extrêmement gênée dans chacun de mes gestes, sans compter le poids conséquent que cela représente.

Alicia me surveille de près, n'ayant jamais vu de cas comme le mien précédemment. Attendant apparemment des jumeaux, elle daterait ma grossesse de 6 ou 7 mois, sans vraiment le savoir. Cela a convaincu Cléo que je ne l'avais pas trompé lors de notre visite sur les terres françaises mais impossible cependant de savoir si cela date ou non de mon aventure avec le tavernier lors de l'escale ou d'avant mon embarquement. Le mystère reste complet mais les faits sont là : dans quelques semaines, j'aurais deux enfants... Et mon histoire avec cette femme en sera toujours impactée.

D'ailleurs, et à mon plus grand bonheur, nous n'avons jamais croisé de navires avec qui nous pourrions éviter les attaques pour les approcher et me débarquer, me laissant donc une chance de me rattraper auprès de mon amante.

Quoiqu'il en soit, l'attention des marins n'est plus concentrée sur moi depuis quelques jours, bien que certains continue de me regarder d'un œil parfois mauvais. En effet, Alicia ne semble plus savoir où donner de la tête, devant gérer mon cas mais aussi l'accouchement de Sacha qui semble de plus en plus imminent. Selon les dires de Cléo, jamais l'Athéna n'avait connu autant de grossesses en même temps depuis sa naissance et celle de son second, à quelques mois d'écart. Sans compter les blessures quotidiennes à soigner comme les brûlures dues aux cordages ou les échardes douloureuses.

D'ailleurs, je viens d'aller me coucher après une énième longue journée quand la porte de la cabine s'ouvre, laissant entrer une ombre. Je reconnais rapidement Cléo à ses pas alors qu'elle se laisse tomber sur sa chaise en soupirant.

"Je suis désolée Addison... C'est plus fort que moi, je n'arrive pas à y faire face, j'en souffre tellement."

C'est la première fois qu'elle s'ouvre à moi. Je sais qu'elle est persuadée que je dors profondément mais je ne veux pas laisser passer cette occasion de discuter avec elle, sans que personne ne puisse nous interrompre, l'équipage étant endormi. 

"Moi aussi je souffre Cléo... Et la distance que tu imposes entre nous est encore plus blessante."

Je l'entends se redresser alors que je me retourne comme je le peux pour lui faire face. Allongée face à elle, mon regard perdu dans le sien emplie de peur et de doute. On se fixe dans un silence que je n'arrive pas à savoir s'il est gênant ou non. Plus aucune de nous n'ose bouger, ayant peur que cela donne une occasion pour l'autre de parler ou fuir.

Eaux troublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant