30 | LUCIFER

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Ses lèvres avaient le goût de l'interdit.

Je me découvrais pêcheur heureux de sombrer dans les limbes du mal qui avait ce parfum de Paradis, je devenais ce déchu satisfait de son sort si la torture prenait l'apparence de son corps à la beauté cruelle.

Elle était parfaite dans mes bras et le son de ses gémissements résonnaient dans mes oreilles comme la plus exquise des mélodies. Je tirai sa lèvre inférieure rien que pour le plaisir de l'entendre soupirer et s'alanguir contre mon torse qui se pressait contre elle. Ses mains tiraient mes cheveux et m'arrachaient des jurons que sa bouche étouffait et emprisonnait sur cette langue diabolique.

Je l'avais aculé contre le piano mais j'étais incapable de maîtriser la situation. Nous formions un chaos parfait où nos colères en symbiose se mêlaient pour apaiser les larmes qui ne coulaient jamais. Elle comblait les blessures que je ne voulais pas voir et elle attisait les flammes d'un désir impossible à refreiner.

Je lui aurais donné tout ce qui restait de mon cœur en miette si elle l'avait demandé. Parce que flancher pour elle était un péché que je voulais commettre à tout prix. C'était pour cette raison que je fus le premier à rompre notre baiser et à m'éloigner assez loin pour m'empêcher de recommencer encore et encore. Il ne suffisait que d'un mètre entre nous pour que je ressente ce vide en moi, ce manque affolant de sa bouche, de son souffle, de sa putain de chaleur.

Je n'avais pas le droit de la vouloir pour moi. Je n'avais pas le droit de la réduire à m'aimer parce que je ne pouvais tout simplement pas lui donner ce qu'elle méritait. Je détestai mon frère du plus profond de mon âme mais je savais pourtant qu'il avait ce que moi je n'avais plus et que pour cette simple raison, il avait plus de droits à l'aimer que moi.

Elle méritait d'être aimée et je ne pouvais lui donner qu'une parodie d'amour, une piètre imitation de ce qu'elle finirait par demander un jour dans son entièreté. Je préférais me borner à une relation de haine plutôt que de voir son beau sourire s'éteindre un jour sous mes baisers qui ne seraient plus suffisants.

Je la détestais parce que je ne pouvais pas l'aimer assez pour la combler.

— Pourquoi tu me rejettes ?

Sa voix était mesurée mais je perçus la colère sous la tranquillité, la déception sous l'indifférence. Je plantai mon regard dans le sien tout en sachant pertinemment que je ne pourrais pas, cette fois-ci, lui cacher ce que mon esprit s'acharnait à vouloir me faire comprendre.

Sa bouche était gonflée par le passage de mes lèvres voraces mais je ne pouvais pas détacher mes yeux de ses pupilles qui s'éclaircissaient dans la douce lumière tamisée du loft. Elle était si belle que les bouts de mon cœur se mirent à saigner dans ma poitrine.

— Je ne te rejette pas, lui répondis-je, la voix rauque.

J'étais trop lâche pour pouvoir être sincère avec elle et ça, elle le savait aussi bien que moi. Je me sentais coupable de mon geste mais je n'arrivais pas à le regretter : dans mon crâne s'était déjà insinué le souvenir de son corps contre le mien et de la saveur divine de ses lèvres maudites.

Elle tendit la main vers moi et, comme un automate, je ne pus m'interdire d'attraper ses doigts entre les miens et de serrer sa paume en consolation de ce que je ne pouvais pas lui faire.

— Ne me laisse pas seule, Lucifer, souffla-t-elle.

J'étais capable de flancher rien que pour sa voix de velours, prêt à mourir si c'était le seul moyen d'emporter ses paroles avec moi jusqu'à la fin des temps.

— Après tout ce que tu m'as fait, tu n'as pas le droit de me laisser seul, mon ange.

Elle était devenue sournoise et usait de stratagèmes pervers pour me retenir auprès d'elle parce qu'elle sentait bien que sans chantage, j'allais fuir à l'autre bout de ce royaume dont elle venait de récupérer la régence. C'était une reine, ma reine à l'esprit embrumé par les vapeurs du mal, et je sombrais pour son sourire cruel qui peuplait chacune de mes foutues nuits.

— Reste avec moi une nuit et après tu pourras t'enfuir, Lucifer. Après, je te laisserai me rejeter si c'est ce que tu veux vraiment.

Je n'aimais pas celui qu'elle dépeignait mais je fus forcé d'admettre qu'elle m'avait bien mieux cerné que je n'étais capable de le faire moi-même. Nous nous comprenions sans avoir besoin de parler. J'entendais sa rage et elle percevait ma peur, je percevais sa tristesse et elle entendait ma souffrance.

Je finis par hocher la tête et la laissai me guider dans les petits escaliers qui menaient à la chambre. En glissant sous les draps de satin, elle enroula ses bras autour de moi et déposa un baiser sur son front tandis que mes mains caressaient distraitement ses cheveux.

Sa chaleur devint mienne et le temps de cette nuit, j'acceptai de jouer la comédie. Oui, je pouvais faire semblant de l'aimer si c'était ce qu'elle désirait vraiment.

Elle s'endormit la tête calée dans mon cou, ma respiration échouée dans ses boucles sauvages, mon cœur à ses pieds et mon âme dévouée à sa volonté. Durant cette courte nuit loin des ténèbres de nos êtres, je consentis à n'être qu'à elle

On aurait peut-être pu s'aimer s'il était resté un peu du Samël frivole et intrépide en moi. 

On aurait peut-être pu s'aimer si je n'avais pas été moi.  

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant