39 | GABRIELLE

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Le plus dur de tout, c'était le soir quand je me retrouvai seule dans cette maison trop grande pour une âme solitaire. Dans la journée, c'était devenu facile de ne plus penser, de laisser la colère guider mes paroles et chacun de mes pas mais le soir, je me retrouvai inlassablement seule à ressasser ce manque en moi.

Je ne me sentais pas entière alors que je redécouvrais petit à petit le plaisir que c'était de dominer le monde et de faire plier chaque volonté d'un claquement de doigts. Les démons avaient commencé à changer d'attitude face à moi mais le mois passé loin de lui entachait mon bonheur.

Alors la nuit, je m'endormais en pensant à lui et le lendemain matin, je me promettais à nouveau de le détester jusqu'à mon dernier souffle. Alors la nuit, je murmurai son nom en imaginant que c'était lui qui me berçait et le lendemain matin, je m'obligeais de nouveau à effacer de ma mémoire le son de sa voix.

Un démon avait fini par ranger le bureau saccagé de Lucifer et j'avais fait de ce lieu mon nouveau repaire. L'odeur musquée et boisé que le diable avait imprégnée dans les meubles avait disparu au profit de ce parfum entêtant de sang que j'avais laissé pénétrer dans la pièce par les fenêtres toujours ouvertes.

Amaris n'avait pas donné signe de vie depuis quelques jours mais je la savais trop investie dans le projet pour m'abandonner. Je n'avais pas non plus revu Habadon depuis cette soirée au Devilish et je ne pouvais que me féliciter pour ce coup d'éclat qui m'avait valu le respect d'une partie non négligeable de sa fratrie.

Je m'amusai à tirer les rapports hebdomadaires du Lac quand Hasmodée frappa à la porte et s'avança dans la pièce avec la précaution d'un homme terrifié. Je ne fis pas l'effort de relever la tête et attendit qu'il se mette à parler en finissant de ranger les quelques feuilles qui traînaient encore sur le bureau en acajou.

— Il est réapparu, ma reine.

Je faillis laisser mon stylo tomber par terre. Lentement, je posai mes mains à plat sur le plateau du bureau pour éviter que le démon ne voit à quel point mes membres tremblaient et je relevai le menton pour pouvoir plonger mes yeux dans les siens.

— Hostoran l'a aperçu à Los Angeles. Le maître a refusé de lui parler.

Je l'avais cru mort mais voilà qu'il revenait et croyait bon de pouvoir se montrer à sa guise tout en refusant le moindre échange avec son propre monde. Je pouvais comprendre qu'il ait renoncé à moi mais le voir renoncer à cette vie qui avait été la sienne si longtemps me dépassait. Sur Terre, il n'avait rien alors qu'ici il avait tout. On pouvait vivre sans amour mais je ne pouvais pas concevoir une vie sans pouvoir. Dans le monde des humains, il ne serait qu'un Homme de plus alors qu'en Enfer, il était un roi avec le droit de vie ou de mort sur ses sujets.

Ça compensait largement les mensonges et les trahisons.

Pourtant, si la logique de mon esprit était implacable, mon cœur, ce putain de traître, n'entendait pas les choses de la même façon. C'était presque comme s'il se brisait à nouveau dans ma poitrine parce qu'à ses yeux, c'était une trahison de plus de la part de Lucifer.

Les âmes sœurs devaient se trouver qu'importe le prix à payer. Lui avait décidé de fuir, de trahir la destinée ce fameux soir et il recommençait en se montrant sur Terre sans avoir le courage de m'affronter de nouveau. J'étais la menteuse, certes, mais lui, il était le lâche qui préférait la fuite à la vérité.

Il ignorait peut-être que la vérité nous rattrapait toujours. Peu importe le temps qu'elle prenait à nous rejoindre, elle finissait toujours victorieuse de cette course contre la montre. Et la vérité c'était qu'à se fuir de la sorte, nous allions finir par sombrer tous les deux dans ce vide qui nous étreignait le corps.

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceWhere stories live. Discover now