Chapitre 23 : L'Ancien Pirate

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Quand Bernon tenta d'entrouvrir les paupières, les raies de lumières se frayant un chemin à travers les rideaux royaux lui brûlèrent le regard. Il cligna des yeux à plusieurs reprises et finit enfin par s'habituer quelque peu à la luminosité aveuglante. C'est alors qu'il sentit les nombreuses contractions qui habitaient son corps. Il voulut se redresser afin d'observer l'origine de ses maux, mais une douleur lancinante dans son abdomen le fit changer d'avis. Couché sur le dos et démuni de tout mouvement, il chercha à étudier plus en détail ses sensations. Ses pieds étaient gelés et pourtant couverts d'un drap délicat. Plus haut, ses cuisses étaient tendues comme après de longues heures de navigations. Bernon localisa plus précisément sa blessure au ventre mais n'arriva pas à se rappeler ce qui avait pu lui causer tant de peine. Il tenta de se remémorer les évènements mais impossible de se souvenir de quoique ce soit après avoir entendu la femme qu'il aimait se marier à un autre.

Son cœur se serra d'inquiétude à cette idée. Qu'était-il arrivé à Rose ? Le comte lui avait-il fait du mal ? De nouveau, Bernon s'agita, tentant d'oublier les maux qui lui faisaient obstacle. Il sentit alors un mouvement sur sa gauche. Il s'immobilisa et sentit que son bras supportait un poids. A en croire les fourmilles qui le démangeaient dorénavant, ce dernier était là depuis longtemps. L'objet méconnu remua et le pirate resta immobile. Finalement, le poids retomba sur son poignet et ne bougea plus. Le renégat entreprit de tendre son cou, forçant sur sa nuque rigide. Il remarqua alors de longs cheveux bruns étendus sur un drap blanc. Il n'avait pas besoin de voir le visage de la personne qui avait décidé de l'utiliser comme oreiller pour la reconnaître : il saurait reconnaître la chevelure royale entre toute. Tout l'être de Bernon sembla alors s'apaiser : Rose était saine, sauve et contre lui.

De nouvelles questions assaillirent rapidement son esprit. Comment s'était terminée la cérémonie ? Si Rose allait bien, qu'était-il advenu de son époux ? La jeune femme avait-elle pu être couronnée Reine de Centule ? Bernon se souvint alors d'une couronne flamboyante posée sur la frêle tête de son amante. Peu à peu et avec de moins en moins de confusion, la journée qui l'avait blessée de tant de manières différentes lui revint en mémoire. Alors que Rose se faisait couronner et que son époux s'éloignait d'elle en attendant de recevoir le sang divin, Bernon avait remarqué un invité suspect. La main de l'étranger descendant de plus en plus vers sa cheville, le pirate avait compris que ce dernier cherchait à se saisir d'un poignard. Le reste s'était déroulé à une vitesse folle : le hors la loi s'était frayé un chemin à travers la foule éblouie par le spectacle du couronnement et s'était mis en travers du coup fatal avant que ce dernier ne touche la femme de ses songes. L'avait-on soigné après cela ? Probablement. Il se souvenait du visage sanglotant de Rose au-dessus de lui, de ses doux mots et de sa main au creux de la sienne, mais à part cela, aucun détail ne lui revint.

Bernon redressa le regard malgré la déception de quitter des yeux la femme qu'il aimait, et observa la pièce autour de lui. Elle était grande et luxueuse : le plafond était décoré de moulures d'or, tandis que les murs portaient fièrement de somptueuses tapisseries. Au son d'un crépitement proche mais invisible, Bernon comprit qu'une cheminée brûlait près de lui. Même si le reste restait en dehors des possibilités de vision du renégat, il reconnut la chambre de la désormais reine dans laquelle il avait passé la plus belle nuit de sa vie. Voir Rose, quelques jours plus tard à peine, avancer vêtue de blanc vers l'autel où attendait un autre homme avait été douloureux pour le blond, tellement douloureux qu'il avait cru que son cœur n'y survivrait pas. Mais désormais, plus rien de tout cela ne comptait : Rose était contre lui et il ne la quitterait plus.

Bernon avait pensé, pendant un instant, reprendre sa vie de pirate malgré la peine de la solitude et le manque d'un amour qu'il ne vivrait jamais plus. Mais au souvenir de cette lame visant Rose et cherchant à la lui enlever pour toujours, il réalisait désormais qu'il ne pouvait survivre sans elle. Il se rendait bien compte que de nombreux obstacles restaient en travers de leur chemin : il était toujours un hors la loi et elle une nouvelle reine chargée de responsabilités. Mais même s'il devait rester l'amant de l'ombre, ne jamais fonder de famille, voir la femme qu'il aimait en épouser un autre pour donner des héritiers à son royaume, il l'accepterait. Car rien n'était pire châtiment que de vivre loin de Rose.

Plusieurs heures passèrent ainsi. Malgré l'engourdissement de son bras, Bernon s'interdisait de bouger de peur de réveiller la jeune femme à ses côtés. Il aurait voulu qu'elle s'installe plus confortablement contre lui, qu'ils s'enlacent une nouvelle fois, mais il avait trop peur que la réalité ne les sépare de nouveau pour risquer de la sortir des bras de Morphée.

Le temps fit finalement son œuvre et la jeune femme entrouvrit les paupières. Elle se redressa avec lenteur et s'étira dans un mouvement gracieux qui avait manqué au pirate. Elle ne remarqua pas immédiatement le regard pesant sur elle, mais quand elle rabattit ses bras le long de son corps et qu'elle daigna regarder le visage de celui qui l'avait sauvée, elle découvrit les pupilles émeraudes qui l'avaient fait frissonner tant de fois auparavant.

Rothaïde s'immobilisa soudainement. Elle mit plusieurs secondes avant de se jeter au cou de Bernon, stupéfaite de le trouver ainsi éveillé. Les larmes ne tardèrent pas à couler sur son visage et elle se rendit compte que, malgré les réassurances de la doctoresse pirate, une inquiétude n'avait cessé d'habiter son cœur depuis que l'homme qu'elle aimait avait été blessé par sa faute. Elle sentit le bras droit du jeune homme se poser avec faiblesse sur son dos. Il ne faisait nul doute qu'il souffrait encore de ses blessures et de ses longues nuits de fièvres, mais il était réveillé et rien n'était plus important aux yeux de la Reine de Centule.

Elle finit par se redresser pour mieux observer le visage éveillé de l'homme face à elle. La vivacité de ses traits le rendait encore plus beau. Tellement beau qu'elle ne put se retenir de l'enlacer une nouvelle fois. Bernon ne put étouffer un gémissement de douleur face à la brutalité de l'embrassade pourtant bien agréable. Inquiète d'avoir aggravé l'état du jeune homme, Rothaïde se redressa une nouvelle fois et s'écarta plus franchement du renégat.

- As-tu mal ? Dois-je rappeler Luslyne ?

Bernon secoua négativement la tête. Sa camarade pirate était donc celle qui l'avait sauvé de sa blessure létale.

Le renégat porta sa main sur la joue de la jeune femme face à lui. Il en essuya plusieurs larmes, n'aimant pas l'idée de lui avoir causé tellement d'angoisses que ses yeux avaient eu besoin d'extérioriser le soulagement.

- Comment vas-tu ? la questionna-t-il.

- Ce n'est pas à toi de me demander cela ! Je suis si contente que tu sois réveillé, tu dors depuis tellement de jours !

- Je me sens bien.

Rothaïde secoua la tête de droite à gauche. Il mentait, ils le savaient tous les deux. Mais ce n'était pas vraiment important, car bientôt, Bernon irait en effet bien. Auraient-ils droits à un avenir l'un à côté de l'autre après cela ?

- Tu m'as tellement manqué, murmura-t-il. Après cette nuit à tes côtés, j'ai eu l'impression que je ne survivrai jamais à l'attente de te revoir.

La jeune femme reposa sa joue contre la main robuste du blessé et laissa une nouvelle larme couler sur son visage.

- Pourquoi pleures-tu ?

- Ce sont des larmes de joie. Je suis heureuse de te voir éveillé, d'entendre de nouveau ta voix. J'ai cru que...

Elle inspira une bouffée d'air.

- J'ai cru que je n'y aurais plus jamais droit.

Rothaïde ferma les yeux pour sentir encore davantage le contact chaud de Bernon.

- Tu y auras toujours droit, susurra le jeune homme.

La noble entrouvrit de nouveau les paupières et plongea son regard dans celui du hors la loi. Tous deux savaient ce que ces mots signifiaient.

- Je ne peux pas te promettre l'avenir que tu mérites, avoua-t-elle à contre-cœur.

- Ce n'est pas important. Tant que je suis avec toi, rien d'autre n'est important.

La jeune femme attrapa la main sur sa joue entre ses doigts délicats. Elle ne savait si les lois centuliennes lui permettrait d'épouser l'homme qu'elle aimait ou même de transmettre son sang, mais elle savait qu'elle le chérirait quoiqu'il en coûte jusqu'à la fin de ses jours. Sur son trône et assommée par son devoir de reine, elle l'aimerait autant qu'elle le pourrait, car même si Bernon méritait bien mieux qu'une vie dans l'ombre, elle savait qu'elle ne pouvait être loin de lui. Bernon acceptait de tout quitter pour elle, et en échange, elle se promettait de lui donner tout ce qu'elle avait.

Hors la loi et bientôt ReineDonde viven las historias. Descúbrelo ahora