La Dame de la Mort

Le bal de l'hiver

Une traîne ample et souple, ruisselant sur ses fines jambes décorées de souliers à talons d'un blanc étoilé ; la robe remonte sur sa poitrine en serrant de plus en plus son buste, enfermant ses seins dans un corset invisible caché en-dessous d'un tissu bleu persan et les manches cascadent sur ses bras pour la maintenir du froid hivernal, bien que tout le château soit réchauffé pour cette soirée qui se veut inoubliable. Une célébration pour l'apogée de l'hiver, des prières aux dieux et aux cieux pour les préserver de tout mal, l'amour pour les flocons et le blanc, pour la neige et la glace, et une salutation envers le printemps prochain qui annoncera bientôt le renouveau de toute chose. Tout est destiné à mourir sur cette terre et la providence seule décide ce qui est voué à renaître, ou à périr à tout jamais.

Adaline s'observe dans le miroir de son appartement avec tracas, la lèvre mordillée par ses dents depuis plusieurs minutes. Elle n'a pas cessé de réarranger sa traîne et de se lamenter sur son apparence. Ses cheveux bouclés relevés en chignon dont quelques mèches s'échappent ci et là sur ses épaules, elle se focalise sur son port de bras, sur ses épaules carrées, où mettre ses mains, comment se tenir debout. Elle est habituée à des bas d'entraînement, qu'elle enfile à chaque session des Sentinelles et à chaque fois qu'elle va courir – tous les matins, une demi-heure avant le petit déjeuner et tous les soirs, après les cours afin de se changer les idées et d'oublier que des crapules se tapissent dans l'ombre de Yezajia, ce qui n'a pas arrêté de l'éloigner de ses amis, mais aussi de son co-délégué qui ne la voit plus partir ou rentrer. Elle préfère les tuniques confortables et les bottes fourrées. 

Quelle idée de porter cette robe somptueuse ? Elle n'est pas digne de la mettre en valeur, elle ne sait même pas comment se déplacer sans s'embroncher. Nox n'a pas encore quitté son salon que des rougeurs apparaissent sur ses joues, honteuse de parader avec cette magnifique tenue. Celle-ci a été offerte par Steros...sans qu'elle ne lui ait demandé quoi que ce soit. Ce matin, elle grignotait une pomme cueillie dans les arbres de Yezajia, tout près du château, à l'est, après sa course matinale avec Seth, quand il l'a interrogé sur sa robe. Il était prêt à envoyer une missive à ses parents pour accorder sa tenue à la sienne... C'est là qu'elle s'est souvenue de ce fichu bal ! Elle a grimpé dans la foulée jusqu'à son appartement, en furie, décontenancée par sa perte totale de repère temporal, son ami sur les talons. En entrant dans sa chambre, elle est tombée nez à nez avec une boîte et une note. 

Je sais que vos devoirs de délégué ont consommé tout votre temps. En guise de remerciement pour vos services rendus à l'école, voici une tenue qui devrait vous convenir pour ce soir. Directrice Steros.  

Adaline n'en est pas revenue, surtout venant de cette femme-là, surtout après ce que Caedmon a découvert ou plutôt confirmé à propos de Steros. Mais, elle n'a pas trouvé l'audace de refuser et de toute façon, la Directrice n'aurait pas intérêt à dévoiler de mauvaises intentions trop tôt. Empoisonner sa robe ? La faire s'enflammer ? Qu'elle lui brûle la peau ? Ou la métamorphose en quelque chose d'ingrat ? Impossible. Pas devant tous ces témoins, pas après que Seth, puis Peirth et Dyna aient appris pour ce cadeau. En revanche, la jeune femme se pose des questions sur cette gentillesse, à juste titre. S'il n'y a pas de poison sur le tissu, il y en a dans sa manigance, pour sûr. 

Devrais-je l'enlever ? se répète-t-elle pour la millième fois, tirant sur la traîne avec inconfort. Mais, en faisant cela, le bustier descend dangereusement et affiche la naissance de ses seins. Elle s'empresse de tout remonter, cramoisie, et à s'imaginer d'innombrables accidents qui pourraient survenir si elle trébuchait ou marchait sur la robe. Elle se retrouverait dénudée, à la vue de tous. Non, non ! Elle n'aime pas du tout cette tenue et s'apprête à s'en débarrasser pour revêtir une tunique simple en s'efforçant de l'agrémenter d'ornements, ainsi que Seth le lui a suggéré...