Chapitre 4 : Le Poids de l'inconnu.

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Le troisième jour après la visite troublante de M. Hassan et de M. Trahan une atmosphère d'inquiétude enveloppait la ferme des Georges comme un brouillard d'automne. Les jours s'étaient écoulés lentement, chaque minute semblait peser plus lourd que la précédente, et la ferme, d'ordinaire un havre de paix, était devenue le théâtre d'une anxiété omniprésente.

Maëlle, depuis la fenêtre de la cuisine, observait les champs baignés par les premiers rayons du soleil. La lumière du matin, douce et diffuse, contrastait avec le tourbillon intérieur qu'elle ressentait. Les champs de blé, ondulant doucement au gré du vent, semblaient immuables, mais pour Maëlle, chaque brin d'herbe, chaque feuille, témoignait d'une tranquillité illusoire. La routine quotidienne, autrefois un refuge rassurant, ne faisait plus que souligner le décalage entre leur vie d'avant et la réalité nouvelle à laquelle ils étaient confrontés.

Samuel, son grand-père, avait entrepris sa journée comme à son habitude, se levant avant l'aube pour commencer ses tâches. Mais quelque chose dans sa démarche trahissait une fatigue plus profonde que celle des matins habituels. Chaque pas semblait calculé, mesuré, comme si le poids de la responsabilité et de l'inquiétude alourdissait ses membres. Ses mouvements étaient lents, presque hésitants, et ses yeux, habituellement vifs, étaient ternis par une gravité que Maëlle n'avait jamais vue auparavant.

Victoria, de son côté, s'activait dans la cuisine avec une frénésie visible. Elle pétrissait la pâte pour le pain du matin avec une énergie presque désespérée, ses gestes brusques trahissant une nervosité grandissante. Le bruit du rouleau à pâtisserie et le crépitement de la pâte qui se formaient sous ses doigts étaient les seuls sons qui semblaient rompre le silence pesant qui régnait dans la maison.

La routine quotidienne continuait, mais elle n'était plus qu'une façade fragile. Les bruits familiers de la ferme - le chant des oiseaux, le murmure du vent dans les arbres - étaient maintenant perçus comme des interruptions dans un drame silencieux. Samuel et Victoria, occupés à leurs tâches respectives, échangeaient des regards préoccupés, mais les mots semblaient trop lourds pour être prononcés.

Ce matin-là, alors que le soleil n'avait pas encore pleinement émergé de l'horizon, un bruit habituel interrompit le silence pesant : le ronronnement d'une moto approchant lentement. Maëlle, observant par la fenêtre, plissa les yeux en reconnaissant la silhouette familière du facteur sur son vieux deux-roues. Habituellement, il passait à une heure plus tardive, et le fait qu'il soit là si tôt éveilla en elle une inquiétude sourde. La boîte aux lettres, ordinairement délaissée à cette heure, se transforma soudainement en un symbole de la menace imminente.

Samuel, qui était en train de réparer un treuil de charrette, s'avança à grands pas pour récupérer le courrier. Son mouvement était plus rapide que d'habitude, comme s'il essayait de fuir une peur qu'il ne pouvait exprimer. Le facteur, tout en échangeant quelques mots avec Samuel, jeta un coup d'œil furtif vers la maison, comme s'il était conscient du poids de ce qu'il livrait. L'enveloppe, épaisse et scellée d'un cachet officiel, sembla émettre une aura d'urgence qui n'échappa pas à Maëlle. Samuel, les yeux fixés sur l'objet de sa préoccupation, se dirigea vers la maison avec une lenteur chargée de gravité.

À l'intérieur, l'atmosphère était devenue encore plus lourde, chaque membre de la famille s'immobilisant en voyant l'expression préoccupée de Samuel. Le silence était devenu si dense qu'on pouvait presque entendre les battements de cœur de chacun. Victoria, qui avait récemment terminé de préparer le petit-déjeuner, essuya rapidement ses mains sur son tablier. Ses yeux, grands ouverts, reflétaient une inquiétude croissante tandis qu'elle s'approchait de Samuel.

« Qu'est-ce que c'est, Samuel ? » demanda-t-elle, sa voix tremblante malgré ses efforts pour maintenir un ton calme.

Samuel, sans un mot, se dirigea vers le salon. Le bruit du papier déchiré, le claquement du cachet rompu, résonna dans la pièce comme un coup de tonnerre, amplifiant le sentiment de malaise. Les autres membres de la famille, attirés par cette scène inhabituelle, se rassemblèrent autour de lui, leurs visages marqués par une anxiété croissante. L'attention de tous était rivée sur Samuel alors qu'il ouvrait délicatement l'enveloppe avec son couteau de poche, chaque mouvement empreint de solennité.

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