Chapitre 19 : Les cicatrices invisibles.

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Le lendemain soir, après une journée ou tous avaient vaqués a leurs occupations. L’heure du repas arriva, et Maëlle se rendit à la grande salle à manger du palais, un lieu où la magnificence était palpable. En pénétrant dans la pièce, elle fut immédiatement frappée à nouveau par la beauté du décor : les lustres étincelants, les murs ornés de tapisseries luxueuses, et la table imposante chargée de mets raffinés. Malgré l’élégance environnante, Maëlle ressentait une lourdeur intérieure qui la rendait inconfortable dans ce cadre opulent.

Victor et le roi étaient déjà installés à table, plongés dans une conversation animée. Le roi, dans ses habits royaux ornés de fils d’or, avait l'air détendu, tandis que Victor, dans un costume moins extravagant mais tout aussi élégant, échangeait des propos avec une vivacité que Maëlle n’arrivait pas à partager. Elle se dirigea vers sa place, son esprit encore hanté par l’incident de l’après-midi.

La douleur persistante dans son poignet, où la marque bleuie commençait à se former, était un rappel constant de l’humiliation subie plus tôt. Elle avait essayé de camoufler la blessure en la plaçant sous la table, mais l’ecchymose, bien que discrète, était suffisamment visible pour qu'elle la ressente comme une marque d’infamie. Chaque mouvement de sa main lui envoyait des vagues de douleur, et le simple fait de se servir était devenu un supplice.

En s'installant à table, Maëlle fit de son mieux pour cacher son malaise. Ses yeux se posaient sur les plats magnifiquement présentés, mais son appétit avait disparu. Chaque bouchée qu'elle tentait de prendre était lourde, chaque saveur semblait insipide, écrasée par la mémoire de l’agression et la honte qu'elle ressentait.

Victor, perceptif comme toujours, remarqua immédiatement le changement d’attitude de Maëlle. Il avait été trop souvent le témoin des variations de son humeur pour ne pas comprendre que quelque chose n’allait pas. Sa cousine, d’ordinaire vive et engagée, était silencieuse et absente. Ses regards fuyants, ses gestes hésitants, tout trahissait un trouble profond.

Le roi, bien que conscient de la situation, choisit de laisser Victor gérer cela, sachant que leur lien familial pouvait être plus efficace qu’une intervention royale. Victor, en voyant Maëlle se crisper à chaque mouvement, ne put s’empêcher de s’inquiéter davantage. Les échanges entre le roi et lui se faisaient de plus en plus rares, les regards de Victor se tournant régulièrement vers Maëlle avec une sollicitude palpable.

La discussion se poursuivait, mais Maëlle avait l’impression que les voix de Victor et du roi étaient étouffées par une distance insondable. Elle avait l’impression de les observer depuis un autre monde, un monde où la douleur et l'humiliation prenaient le pas sur la courtoisie et les bonnes manières. À chaque éclat de rire ou chaque remarque amicale, elle se sentait plus isolée, comme si une barrière invisible l’éloignait de la convivialité du moment.

À la fin du repas, Maëlle se leva rapidement. Elle attrapa sa serviette et, dans un geste de dépit, se dirigea vers la table de service, commençant à ranger les assiettes avec une détermination silencieuse. Les servantes, surprises par cette action, tentèrent de la stopper, mais Maëlle les évinça poliment. Ce geste, bien que modeste, était sa manière de retrouver un peu de contrôle dans une situation qui lui échappait.

Victor, inquiet, échangea un regard avec le roi, qui, bien qu'incliné à respecter la discrétion de la situation, fit un signe de tête en accord avec le désir de Victor de suivre Maëlle. Le roi savait que le soutien de Victor serait probablement plus efficace que toute intervention de sa part.

Victor se leva à son tour, ses mouvements fluides et déterminés, et se dirigea vers la suite de Maëlle. Les couloirs du palais semblaient interminables, chaque pas résonnant dans le silence lourd de la soirée. Lorsqu'il arriva à la porte de la suite de Maëlle, il frappa doucement avant d’ouvrir sans attendre de réponse.

À l’intérieur, Maëlle était assise sur le bord de son lit, les épaules affaissées, le visage baissé. Ses mains étaient serrées l’une contre l’autre, et Victor remarqua immédiatement la façon dont elle tenait son poignet, comme pour cacher ou protéger la blessure. Il s’approcha doucement et s’assit à ses côtés, sentant l’urgence de la situation.

— "Maëlle," murmura-t-il avec une douceur qui trahissait son inquiétude. "Qu’est-ce qui se passe ? Tu n’es pas toi-même ce soir."

Maëlle leva lentement les yeux vers lui, et Victor fut frappé par la tristesse profonde qui s’y reflétait. Elle tenta de parler, mais ses mots se perdirent dans un tremblement de voix. Les larmes étaient prêtes à éclater, et elle semblait lutter pour les contenir. Victor, observant la détresse de sa cousine, décida de changer d’approche.

— "Tu te souviens de la fois où on est allé pêcher avec papy ?" demanda-t-il avec un sourire nostalgique. "Je me souviens de la fois où tu as attrapé un poisson tellement gros que tu as presque failli tomber dans l’eau en essayant de le sortir. Papy a ri tellement fort qu’on aurait dit qu’il allait se déchirer."

Maëlle, malgré elle, esquissa un sourire en pensant à ce souvenir, mais la tristesse demeurait. Victor continua à lui raconter des anecdotes, faisant de son mieux pour alléger l’atmosphère. Mais malgré ses efforts, Maëlle semblait engluée dans une mélancolie profonde.

Finalement, le poids de la soirée devint trop lourd pour elle. Elle lâcha un soupir et, entre deux sanglots, commença à raconter l’incident. Sa voix était entrecoupée de sanglots, et chaque mot semblait lui demander un effort surhumain. Elle parla de l’homme dans les jardins, de son regard menaçant, de l’insulte brutale et du sentiment d’humiliation intense.

Victor écouta attentivement, son regard se durcissant à mesure qu’elle avançait dans son récit. Son visage se ferma de colère et de frustration. Lorsqu’elle eut terminé, il la prit doucement dans ses bras, la serrant contre lui avec une force protectrice et rassurante. Il pouvait sentir la tension dans ses épaules, et le poids de son propre sentiment de défaite face à l’impuissance de la situation.

— "Maëlle," murmura-t-il, sa voix douce mais ferme, "ce n’est pas toi qui devrais avoir honte, c’est cet homme. Il est ignorant et cruel. Nous devons nous adapter à cette culture, mais cela ne signifie pas que tu dois te laisser abattre. Tu es forte, courageuse, et tu as toujours su faire face aux défis. Je suis là pour toi, et personne ne te fera de mal sous mes yeux."

Les paroles de Victor, bien que réconfortantes, ne pouvaient effacer entièrement la douleur de Maëlle. Elle se blottit contre lui, laissant ses larmes couler librement. Victor continua à murmurer des paroles rassurantes, ses mains caressant doucement ses cheveux, son affection palpable à chaque geste.

Leurs corps se détendirent lentement contre le lit, et ils restèrent ainsi, unis dans un moment de réconfort et de tendresse. La chaleur de l’étreinte de Victor était une source de soulagement, une évasion temporaire de la réalité rude qu’ils avaient à affronter. Maëlle se sentait protégée, et la douleur physique de son poignet semblait un peu plus supportable dans ce cocon de sécurité.

En se détendant dans les bras de Victor, Maëlle se retrouva à penser à la difficulté d’être acceptée dans un monde étranger. Le jugement des autres, la peur d'être rejetée ou mal comprise, tout cela pesait lourdement sur ses épaules. Elle savait qu’elle devait se montrer forte, mais avec Victor à ses côtés, elle trouva la force de faire face à ses nouvelles incertitudes.

Alors que la nuit avançait, et que les premières étoiles commençaient à scintiller à travers les fenêtres, Maëlle trouva un peu de réconfort dans les bras de son cousin. Le poids de la journée semblait se dissiper lentement, et elle se sentait prête à affronter les défis à venir, soutenue par l'amour et la protection de celui qui avait toujours été son pilier.

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