Solitude.

46.5K 3.6K 1K
                                    


Mes yeux restaient fixés sur le corps inerte. Ils devaient exprimer l'incertitude, la peur et l'incrédulité que j'éprouvais. Mes mains se serrèrent, mes ongles ouvrant ma peau tant j'étais surprise et interdite par ce que je voyais. Ce n'était pas moi qui avait ça. C'était impossible. Totalement impossible. Doucement, la main de Kenan se serra sur mon épaule et il voulut me détourner mais je refusai de bouger. Je restai plantée face au corps inerte d'Isabelle. Je restai fixée sur ses yeux grand ouverts mais qui n'exprimaient plus rien. Juste le vide. Elle bougeait. Elle respirait. Mais ses yeux vides ne cillaient pas. Et ses pensées n'existaient plus. Le vide. Le néant total. Pas de mur. Pas de pensée. Juste le néant.

La tuer aurait été une chose que j'aurais peut-être pu surmonter. C'était horrible mais elle l'avait été bien plus. Cette femme n'était qu'un monstre ambulant, elle méritait de mourir. Si j'avais ressenti, encore une fois, de la culpabilité, j'aurais aussi admis qu'Isabelle Ogme ne méritait rien d'autre que cela. Elle était trop cruelle et trop néfaste pour qu'on regrette réellement sa mort. Mais ce que j'avais fait était tout aussi cruel. Elle était en vie. Mais dans quel état ? Incapable de penser. Incapable de vivre. Une coquille sans âme et condamnée à errer jusqu'à ce que quelqu'un la délivre de son sort.

La louve hautaine et impudente, avait juste la force de constater qu'elle n'était plus rien. Les larmes ruisselaient sur ses joues sans qu'elle ne comprenne, au fond, pourquoi. Elle était incapable de le comprendre. Incapable de réaliser. J'avais toujours eu la peur profonde de finir ainsi, de finir comme un légume allongé dans un lit, incapable de penser. A quoi servait la vie si on ne pouvait penser ? Si on ne pouvait réfléchir ? Si on ne pouvait être libre d'agir et de rêver ? Ce sort, je ne l'aurais jamais souhaité à qui que ce soit. Pas même à cette femme.

- Elle le méritait, souffla Kenan. Elle a fait a tuer beaucoup de gens et torturer beaucoup d'autres. Elle a détruit des vies, Keyli. Ce n'est que justice.

- Personne ne mérite un tel sort, rétorquai-je. Et tu le penses tout autant que moi.

- Je pense surtout que si tu ne l'avais pas fait, nous serions tous en encore en danger, rétorqua-t-il. Je n'ai aucun remord face à cette femme. Et je n'ai pas honte de penser que tu as fait ce qu'il fallait faire.

- J'aurais pu la tuer, rétorquai-je. Mais j'ai choisi de la torturer.

Cette fois, il resta silencieux. Il ne savait pas qu'en réalité je n'avais été celle qui avait pleinement fait ce choix et je ne comprenais pas pourquoi Ogme l'avait fait. Ce vieillard ne m'était pas apparu comme cruel. J'avais fait fausse route. Sans aucun doute. Mais je n'avais pas envie de me réconforter en me disant que c'était de sa faute à lui. C'était mon corps. Mes mains. Moi qui avait fait le choix de l'invoquer. Ma naïveté et mon incompétence devenaient, sans cesse, un poids trop difficile à porter.

Sobrement, j'attrapai au sol une longue cape brune que je vins déposer sur les épaules nues d'Isabelle. Lorsqu'elle s'était retransformée en humaine, sa nudité ne m'avait pas choquée, sans doute parce que j'étais préoccupée par autre chose mais désormais elle me gênait. Sûrement parce que cela la rendait un peu plus faible. C'était une humaine. Malgré sa monstruosité, elle était comme moi. Elle avait des os. De la peau. Du sang. Elle me fixa, ses larmes continuant de ruisseler et je voulu m'écarter dès que le tissu était posé sur elle mais une de ses mains saisit mon poignet fermement. Elle ouvrit la bouche comme pour parler mais aucun son ne sortit de ses lèvres. Elle me fixa encore quelques secondes, comme si elle ne comprenait même pas qu'elle était incapable de parler puis referma la bouche en détournant le regard. Ses doigts glissant de ma peau. Je me redressai sans cesser de la fixer. Comment avais-je pu faire quelque chose comme ça...

Water Lily : l'éclosion.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant