Au-delà des limites

Douloureuse solitude |7|

Je n'arrête pas de penser à Elian depuis hier. Quand je l'ai vu la première fois, je pensais que c'était quelqu'un de froid, pourri gâté par ses parents. Mais ce n'est pas du tout le cas. Il a vécu quelque chose qui l'a marqué, qu'il n'arrive pas à oublier.

Quand je lui ai demandé s'il allait bien et qu'il a relevé la tête, j'ai lu dans son regard une haine immense, un feu ardent qui le consume de l'intérieur. Il ne voulait certainement pas que je le voie dans cet état, j'aurais peut-être dû rester cachée jusqu'à ce qu'il s'en aille...

Je remets la serpillère dans le seau et porte le tout pour le remettre à sa place. J'ouvre le placard et commence à poser le matériel quand une voix m'interpelle.

- Aurore ? Qu'est-ce que tu fais là ? me demande Mme Delphine.

- J'ai juste passé la serpillère dans tout l'étage. Il y a un problème ?

- Mais voyons Aurore ! Il est huit heures trente ! Tu es supposée réveiller Elian pour qu'il prenne son petit-déjeuner ! me rappelle-t-elle exaspérée.

Je sais bien qu'il faut que j'aille le réveiller à sept heures trente pour qu'il mange à huit heures. Mais après ce qu'il s'est passé hier, je n'ai pas envie de le croiser. Et surtout, je ne suis pas retournée dans la chambre... je l'ai vu dans un moment de faiblesse et je ne sais pas comment me comporter par rapport à ça... Je vais faire comme si je n'avais rien vu. C'est tout.

Et d'un autre côté, il doit sûrement être de mauvaise humeur et fatigué. Je n'ai pas envie de mourir en essayant de le réveiller. Je tiens à ma vie.

- Mais s'il dort encore c'est qu'il est fatigué... laissez-le faire la grasse matinée, dis-je dans une tentative vaine.

- Aurore, si je faisais la grasse matinée à chaque fois que je suis fatiguée, je ne sortirais pas de mon lit. Alors arrête de te chercher des excuses et va le réveiller, dit-elle en voyant clair dans mon jeu.

Je finis par soupirer et rassure Mme Delphine. Je vais le faire. Je dois le faire. Je n'ai pas vraiment le choix de toute façon, si je ne le réveille pas, personne ne le fera, c'est moi sa servante personnelle après tout, c'est-à-dire la seule servante de tout l'OSI autorisée à entrer dans les appartements privés du prince.

Dans l'ascenseur, je clique sur le bouton menant au troisième étage, et après quelques secondes d'hésitation, finis par appuyer sur tous les boutons que je vois pour mettre un maximum de temps avant d'arriver sur le pas de la porte de l'héritier. J'appréhende la réaction de l'héritier. Me renvoyer serait la pire chose qu'il puisse m'infliger. Je ne peux pas me faire renvoyer. Le stress monte petit à petit.

L'ascenseur m'informe que je suis arrivée et je sors doucement, posant lentement un pied devant l'autre, faisant attention à ne pas marcher sur les lignes qui ornent le tapis au sol, comme une enfant. Qu'est-ce que je me trouve ridicule à faire ça ! Je dois faire face au prince, je ne pourrai pas l'éviter toute ma vie !

J'arrête mon petit numéro et arrive devant la fameuse porte des enfers. Mes mains moites glissent sur la poignée de porte que je fais tourner. Lentement, je m'immisce dans la pièce plongée dans le noir. Je marche sur la pointe des pieds pour arriver jusqu'aux rideaux géants.

J'ouvre les tentures d'un coup sec. Une douce lumière envahit la chambre qui était obscure il y a quelques secondes.

Je vois le corps d'Elian niché dans les couvertures de son lit, seuls ses cheveux noirs dépassent. Je m'avance vers le lit et dis moins fort que je ne l'aurais voulu :

- Bonjour Votre Majesté, il est l'heure de se réveiller.

J'attends quelques secondes, mais... rien. Aucune réaction. Je me suis déjà habituée au silence religieux de la pièce, ce qui fait que quand je parle, même en chuchotant, j'ai l'impression de hurler. Je reprends un peu plus fort.