Au-delà des limites

Closer |11|

Les portes de l'ascenseur se ferment avant que je ne l'atteigne. Le prince est déjà en train de monter. Je gravis donc les escaliers même si ça va me prendre cinq bonnes grosses minutes pour arriver jusqu'en haut. Je grimpe les marches trois par trois et arrive enfin devant la bonne chambre. Je pousse doucement la porte entrouverte, et jette un coup d'œil. L'héritier est assis sur le bord de son lit. Le regard dans le vide. Ses mains saignent encore, ça doit sûrement lui faire mal, mais il n'a pas l'air de ressentir la douleur, trop absorbé par ses pensées.

Je m'immisce silencieusement dans la chambre et ferme la porte. Je peux encore entendre la musique rock de la fête et les rires hystériques parvenir jusqu'ici. Je ne sais pas quel comportement adopter. Je me mêle une fois de plus de ce qui ne me regarde pas. Au final, je cherche la boîte de secours et me place face au fils du roi qui ne remarque toujours pas ma présence.

Je me permets de m'assoir à ses côtés, sur le lit drapé de tissu or. J'ouvre la boîte et prends le nécessaire pour le soigner. J'hésiteà tenter une approche. Je ne sais pas comment il va réagir... Lentement, je prends sa main et la rapproche de moi. Mais il ne réagit pas. Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou pas. S'il réagit, ça veut dire qu'il a toute sa tête, mais son manque de réaction m'inquiète. Qu'est-ce qui le met dans cet état ? L'eau qui l'a touché ? Ça l'aurait affecté à ce point ? C'est juste de l'eau...

Ses mains sont glaciales. Je me lève et prends une couverture dans l'armoire. Je la pose sur son dos nu et veille bien à l'emmitoufler dedans. Je reprends sa main gelée et commence à désinfecter la plaie. Il ne bronche pas, malgré le picotement qu'il doit ressentir. Je retire quelques bout de verres encore coincés dans sa paume en lui disant :

— Je ne fais peut-être pas partie du même monde que vous, mais si vous avez besoin de parler, je suis là.

Il ne répond pas. Je m'y attendais.

— Vous m'avez écoutée et aidée quand j'allais mal. À votre manière certes... mais je veux faire pareil pour vous.

J'enroule un bandage autour de sa main. Quand j'ai fini, je ne le lâche pas directement et me perds à mon tour dans mes pensées. Je ne pense pas qu'il soit dans cet état sans raison. Serait-ce lié à ce que le roi a dit la dernière fois que le prince a eu une réaction à peu près similaire ? Si je me souviens bien, il avait dit que des personnes étaient mortes par sa faute...

Je ne vois pas d'autre explication, mais je décide de ne pas faire de conclusion hâtive. Je ne connais pas le prince assez bien pour me faire une opinion objective de toute cette histoire.

Après quelques minutes, je constate que je suis quasiment collée au prince. Sa main est sur mes genoux et inconsciemment je ne cesse de faire des petits cercles sur sa main. Pourtant, il se laisse totalement faire.

Soudain, il soupire, comme s'il n'avait plus soupiré depuis des années, comme s'il était soulagé. Son visage parfait se tourne vers moi et pour la deuxième fois, le monde autour de moi semble en pause. Je ne saurais décrire l'effet qu'il produit sur moi. C'est indescriptible.

Mon regard descend vers ses lèvres et lentement, ma main se pose sur sa joue, des frissons me parcourent au contact de sa barbe de trois jours. Ses lèvres sont comme un fruit interdit que je meurs d'envie de croquer. Quelques idées pas très saintes me traversent l'esprit pendant ma contemplation. Idées que je ne mets pas en application. Surtout pas. J'éprouve clairement une forte attraction, du moins physique, envers lui. Merde, ça ne me plaît pas, c'est pas bon. C'est la première fois que ça m'arrive et je n'ai pas le contrôle de la situation.

Je romps le contact visuel, mettant fin à cet instant magique, pose sa main sur ses genoux et me lève pour sortir, mais une poignée de fer m'en empêche. Un goût métallique se répand dans ma bouche. J'ai encore meurtri ma lèvre.