9/ Les esprits de la forêt

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Je n'eus aucune peine à les reconnaître grâce à la mémoire de Bill, c'était bel et bien ceux qui lui avaient laissé une chance de renaître. Cipher gisait dans mes bras, sa vie s'en allant progressivement de son corps ensanglanté. Mizu et Kuki possédaient des mines attristées, Chikyu arborait un visage neutre tandis que Hono riait aux éclats. Pourquoi ne faisaient-ils rien alors qu'il allait mourir ? Mes paumes caressaient frénétiquement les mèches d'or de mon compagnon alors que les larmes redoublaient d'intensité. Ils ne semblaient pas se préoccuper de ma présence et se concentraient sur la silhouette mourante. 

"Dipper Pines, déclara doucement l'âme aquatique, je suis navrée que tu doives assister à cela. Comme il te l'a confié, il avait une mission.

- Mission qu'il n'a pas pu relever, ajouta une ombre verte sur un voix grave et lointaine. 

- Vous dites n'importe quoi ! rétorquais-je en sentant ma voix s'enrager. Il m'a protégé ! Il l'a toujours fais ! Pourquoi vous ne faites-rien ? Agissez ! Vous êtes les esprits les plus puissants de la forêt !

- Nous ne pouvons pas te demander de comprendre, dit Kuki, mais nous n'avons jamais eu l'intention de le laisser en vie. Sauf s'il montrait un changement dans son attitude. 

- Ce qu'il n'a pas fait, reprit Mizu. Il a tué ses concitoyens, souhaite toujours anéantir l'équilibre fragile de Gravity Falls et... il ne montre aucun sentiment. J'avais convaincu mes amis de lui laisser une chance mais je me suis bercée d'illusion. Bill Cipher restera un démon. Autant le tuer avant qu'il ne fasse du mal à quelqu'un d'autre. 

- Shi no megami o zehi, marmonna indiciblement Hono."

L'air fut froid, plus froid encore que Bill qui se battait contre la mort. Que pouvais-je faire ? L'esprit bleuté n'avait pas tort, il n'éprouvait aucune sensation humaine. Mais, je l'aimais avec ou sans humanité. A mes côtés, effleurant mes blessures, une forme abstraite noirâtre se forma. Son visage s'éclaircit, laissant apparaître une femme d'une grande beauté aux dents aiguisées et aux yeux pénétrants. Elle était vêtue d'une cape noire, semblable à celles des autres fantômes, et avait la peau aussi pâle que la neige, les lèvres aussi sombre que l'encre. Shi, la déesse de la mort, était là. 

"Merci Hono, susurra t-elle en posant sa main ongulée sur le crâne de mon ami. Je prendrai soin de ce démon, il sera un bon serviteur."

D'un coup, le corps inanimé de Bill flotta dans les airs et Shi se redressa pour me dominer de toute sa taille fine. Mon cerveau s'était comme stoppé, mes émotions s'enchaînaient sans que je parvienne à les comprendre. Il n'y avait plus rien à comprendre, il fallait agir. La silhouette cendrée commençait déjà à partir, emportant Cipher. Je me relevais et, sans réfléchir, j'attrapais le poignet poisseux de la divinité. Elle se retourna, furieuse, et je sentis les regards des autres ombres. Pourtant, je n'avais pas peur de ces Dieux. 

"Pitié, dis-je en serrant désespérément son échine. Vous dites qu'il a fait du mal tout au long de sa vie mais... c'est faux. Il a sauvé une personne et ce, à plusieurs reprises. Il la sauve encore à cet instant même. Laissez-lui une seconde chance.

- Il l'a laissé passer, répliqua Shi. Maintenant, lâche-moi ou je t'emporterais dans mes Limbes. 

- Nous ne pouvons pas... commença l'âme blanche.

- Je le ferais, coupa t-elle. Tes souffrances seront encore pire que la mort elle-même. Veux-tu donner ta vie pour ce moins que rien, petit humain ?"

Mon regard se fixa sur les yeux clos de Bill. La réponse fut immédiate et j'abandonnais le poignet blême de la femme. 

"Tu as compris, concéda t-elle en souriant atrocement. Je te donne le droit de lui faire tes adieux.

- Je ne lui ferais pas mes adieux, hurlais-je en serrant le poing. 

- Alors, au revoir humain."

Ma main refermée se précipita sur la tête sereine de Shi et heurta pleinement sa mâchoire. Surprise, elle recula, un filet léger de sang léchant ses joues. Mon être n'était plus que fureur et colère, ma peur et mon appréhension avaient disparu en même temps que le désespoir et la fatigue. Je repartirais avec lui, ce n'était pas négociable.

"Ecoutez-moi ! Je ne vous laisserais pas faire ! Bill Cipher est peut-être un démon incapable de ressentir la moindre émotion, qui prône le pouvoir et le sang sans se préoccuper des malheurs des autres mais... je l'aime ! Je l'aime et je le suivrais où qu'il aille ! Même dans vos Limbes ! (le sourire narquois sur le visage de Shi disparût) Vous n'avez pas le droit de priver quelqu'un de sa vie à cause d'un erreur de parcours, avec du temps, il changera, j'en suis certain ! Il n'est pas si mauvais que ça, sinon, il m'aurait laissé seul avec ces choses ! Je vous en prie..."

Mes jambes fléchirent et je me retrouvais, face aux cinq esprits, à genoux. Ma colère ne descendait pas, mes larmes ne s'arrêtaient pas. Je me préparais à mourir, comme l'avait si bien dit Shi, mais je ne sentis qu'une main chaleureuse se poser sur mon épaule. Mizu pleurait elle aussi. Elle s'était assise près de moi et me regardait en souriant. 

"Dipper Pines... je te suis reconnaissante. Tu es la preuve vivante qu'un humain peut laisser un maudit tel que Cipher entrer dans son coeur. Je ressens ton amour tout comme ta haine. Nous ne pouvons pas interférer dans le devenir d'un homme alors, puisque ton destin te veut scellé avec lui, nous allons le libérer. Sache, du moins, que, si tu meures durant la semaine restante, il mourra avec toi, comme nous l'avions décidé."

Les autres esprits acquiescèrent et Bill fut déposé au sol, haletant. Puis, Mizu se redressa en laissant une traînée de poudre bleue parcourir l'air. Elle guérissait mes plaies, recouvrait celles de mon ami. Je le fixais tendrement et, quand je voulu remercier les âmes fantomatiques, elles avaient regagné la dimension de l'invisible. Je n'osais bouger, de peur de me réveiller à côté du cadavre de Cipher, et j'attendais que le sommeil le laisse reprendre conscience. Le coup de coutelas du monstre n'était plus qu'un souvenir, laissant une cicatrice neuve sur ma cuisse. Je restais couvert d'écorchures et d'entailles peu profondes mais le sang ne coulait plus. 

"Peux-tu me dire ce qu'il s'est passé Pinetree ? demanda brusquement Bill en rouvrant les yeux."

Je me redressais et me précipitais sur lui qui se relevait douloureusement. Je ne pensais plus à rien et je le serrais dans mes bras avant de rougir et de me retirer. Il parut aussi gêné que moi et ouvrit la bouche avant de la refermer. Dire qu'il avait, maintenant, un véritable corps, visible de tous. Je secouais la tête, me concentrant sur la question première.

"C'est une longue histoire... J'ai reçu la visite des esprits de la forêt." 

FUIS-MOI SI TU PEUX (Billdip)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant