Chapitre 19

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- On va où ? Demandai-je au bout de quelques kilomètres.

Ed avait le chic pour m'étonner voire m'effrayer avec ses idées saugrenues. Aussi, voulais-je tâter le terrain afin de mieux appréhender ma hausse de tension.

- Quelque part.

- Super. J'aime cet endroit, ironisai-je en secouant la tête, perplexe.

- Ça tombe bien, moi aussi.

Le reste du trajet se passa dans le plus grand calme et dans la plus grande frustration. Je n'aimais pas ce silence oppressant. J'avais l'impression qu'un gouffre énorme s'immisçait entre nous. Aussi aurai-je aimé qu'il rompe la barrière mais il n'en fit rien. Après dix minutes et cent vingt-trois lampadaires, il finit par se garer.

- On ne va pas rester longtemps, je voulais juste te montrer l'exposition d'un peintre amateur. (Il marqua une pause.) Et puis, une étude a montré que quatre-vingt pourcent des activités culturelles seraient propice à un rapprochement physique.

- Oh, et tu crois à ce genre de bêtises ?

Ed haussa les épaules.

- Je te rassure, un rapprochement physique n'implique pas tout le temps du sexe. Mais si ça faisait parti de ton plan, je veux bien me sacrifier, fit-il en ouvrant les bras comme s'il abandonnait son corps à mon bon vouloir.

Quel parfait connard!

- Je passe mon tour, répondis-je.

Ma voix manquait d'assurance. J'espérai que je n'aurai pas à me répéter.

- Tu es sûre ? Le désir est un sentiment très puissant.

- Ah bon ? Et tu le sais peut-être parce que tu en es victime... J'imagine d'ailleurs que c'est pour ça que tu m'harcèles, gloussai-je.

Il rigola et réfléchit un court instant à une remarque cinglante, préparée et apprise depuis une bonne dizaine d'années avant de se raviser.

Avais-je mis Ed Larkin au pied du mur ?

- Bon, on ne peut pas gagner à chaque fois...

Objectif atteint.

J'éclatai d'un rire victorieux alors qu'il me prit la main m'incitant à le suivre dans l'entrée d'une salle aménagée pour l'effet. En entrant dans le pièce, j'oubliai Ed, notre conversation implicite, les derniers jours et peut-être même les derniers mois. Je me sentis transportée dans un autre monde où le temps s'était étiré.

Les murs étaient peints en noir, ce qui donnait à la pièce une ambiance à la fois sombre mais incroyablement attirante. Des tableaux aux couleurs pétillantes occupaient chaque centimètre carré du mur, comme si l'artiste débordait d'une imagination qu'il devait dans un besoin presque animal couché sur la toile. La noirceur des murs et les œuvres multicolores s'opposaient dans un paradoxe évident. A cela s'ajoutait un éclairage particulier qui illuminait les détails les plus insignifiants. J'avais mis les pieds dans un « bordel » de couleurs. Je crois qu'aucun mot ne pouvait être plus parlant du spectacle saisissant qui s'offrait à moi. Ce devait être ça l'art abstrait, se retrouver devant une œuvre, ne pas savoir ce qu'elle représentait dans le fond et la forme mais être persuadé qu'elle était pleine de sens.

Ed, me dirigea vers ce qui devait être le début de l'exposition. Face à moi, les ombres dansantes d'hommes et de femmes, qui se mélangeaient les unes aux autres sur la toile, ne formaient plus qu'une : un seul corps uni et désarticulé.

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⏰ Last updated: Jun 25, 2017 ⏰

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HEAVEN [en pause]Where stories live. Discover now