Quand il m'a achetée (2/2)

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Nous pénétrâmes hâtivement dans une large rue de pavés à quelques mètres de l'appartement que nous venions de quitter. À en juger par l'activité naissante des commerces qui commençaient tout juste à s'allumer, il devait être environ deux heures du matin.

Le Maître entra le premier dans un restaurant aux allures de fast-food et me guida à l'intérieur en me tenant toujours fermement par le poignet. Reconnaissant les odeurs familières de friture, je compris que le lieu servait de la nourriture humaine. La cuisine, grande ouverte, était occupée par plusieurs personnes d'apparence jeunes et chétives, portant toutes un collier. Elles travaillaient en silence, le regard morne. Appuyé contre une armoire et croisant les bras, un individu de grande taille aux cheveux blonds hirsutes surveillait tout ce personnel. Aussitôt qu'il nous vit entrer, il quitta sa position pour se diriger vers Meiré.

— Toi ici ? s'exclama-t-il avec enthousiasme.

— Pas pour longtemps, grimaça Meiré en jetant un coup d'œil écœuré autour de lui. Comment fais-tu pour rester dans cet endroit ?

Les joues lisses du jeune homme se soulevèrent, dessinant un sourire embarrassé.

— Je n'ai pas le choix ! confia-t-il en haussant les épaules. C'est le gouvernement qui m'a imposé cette tâche de surveillance.

Donnant une tape amicale sur le bras de Meiré, il s'exclama, la pointe des canines apparente :

— Ce n'est pas si horrible que ça, regarde toute cette nourriture !

D'un geste ample de la main, il présenta la grande cuisine où s'agitaient les chiens au milieu des vapeurs d'eau et d'huile. Le Maître afficha un rictus sarcastique.

— Quelle chance tu as, Fred.

— Pas autant que toi, rétorqua l'hôte en lui faisant un clin d'œil.

Il me désigna du doigt.

— Tu viens de l'acheter ?

Le Maître opina hâtivement de la tête.

— Plutôt mignonne, complimenta Fred en se rapprochant de moi.

Il posa sa main sur mon crâne, caressant mes cheveux châtains ébouriffés. J'abaissai la tête par réflexe, coupant court à ce contact forcé avec l'inconnu.

— Un peu farouche. Elle n'a pas l'air très en forme, tu l'as payée chère?

Le Maître secoua vaguement la tête d'un air désintéressé. Il ne souhaitait pas se lancer dans des explications, ici et maintenant.

— Je te raconterai à notre prochaine soirée chez Charles.

Ressentant l'impatience de Meiré de quitter cet endroit, l'hôte appela un garçon. Celui-ci accourut et s'inclina devant le Maître, attendant docilement les instructions.

— Prépare-moi le menu de base, commanda Meiré sans réellement savoir de quoi le menu était composé.

— Bien, Sire, fit poliment le garçon. Quelle sauce prendrez-vous ?

Le Maître resta figé un instant, dérouté par la question.

— Tu me prends pour qui ? Je ne mange pas de cette merde-là, mets-y ce que tu veux !

Le garçon, apeuré, hocha rapidement la tête et s'empressa de retourner en cuisine. Fred éclata de rire.

— Tu es un excellent scientifique mais tu ne sais pas commander des frites pour ton chien ? ça, je  le raconterai à Adeline !

Assailli par le regard noir du Maître, Fred se réfugia dans la cuisine et se contenta de le saluer de loin.

Meiré désigna la table la plus éloignée de la cuisine. M'ordonnant de m'y asseoir, il prit place en face de moi. L'énervement se lisait sur son visage ; il ne cessait de froncer les sourcils et le nez. Peut-être était-ce les odeurs de cuisson qui le dérangeaient ? Les vampires ne se rendaient guère que dans les cafés où le seul parfum présent était celui du sang.

Les chiens des vampiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant