Quand j'ai voulu mourir

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Je m'étais réveillée en avance, seule dans ma chambre. Je pouvais juger par la faible lueur qui traversait les carreaux teintés, qu'il était environs dix-huit heures. Le soleil interdit se couchait lentement. À cette heure là, il était trop tard pour retrouver le sommeil. Il me fallait attendre le réveil du Maître.

Allongée sous les draps, je fixais le plafond, jouant avec mes pensées pour repousser l'ennui qui, comme chaque soir, frappait aux portes de mon esprit.

J'imaginais que j'étais une super-héroïne, comme dans les histoires de mon enfance. Avec mes super-pouvoirs, j'abolissais le règne des vampires. Je les exterminais tous — ou presque, et forçais les survivants à établir un pacte de bon entente avec les hommes. Ceux qui s'y refusaient, finissaient grillés au soleil ou en prison. J'imaginais un monde où l'humanité avait sa place, un monde où mes connaissances me permettaient encore d'avancer, un monde où j'étais quelqu'un. Le chien d'Adeline était avec moi dans ce monde. Je me demandais si lui pensait à moi, tout comme je pensais à lui. En m'imaginant avoir de l'importance pour lui, je ressentais un soupçon de bonheur.

Parfois, je me surprenais à retrouver Meiré dans mes pensées. S'il y avait une personne pour qui mon existence avait un sens, c'était bien lui. Pilier de ma survie et de ma sécurité, je le voyais tantôt comme un protecteur, tantôt comme un tortionnaire. Je m'autorisais à croire qu'il tenait un peu à moi. J'espérais lui manquer, au travail. Je le supposais heureux de revoir ma personne en rentrant chez lui. J'oubliais volontairement toutes les fois où je lui avais servi de repas.

Nous cohabitions maintenant depuis plus d'une année et nous avions vécu des moments qui nous avaient, je crois, un peu rapprochés. Il avait réussi à gagner mon respect, malgré un départ très difficile.

Par quelle folie lui accordais-je ma confiance ? Cédais-je à la solitude et l'envie d'être aimée ? Avais-je fabriqué de toutes pièces des sentiments dans les yeux froids de Meiré, de la même façon que l'on peut croire qu'un tigre nous regarde avec tendresse ? Il m'arrivait parfois de le déranger juste pour avoir son attention, et même espérer, dans les heures les plus noires, qu'il veuille bien manger, pour le sentir un peu plus proche de moi. Peu m'importait qu'il boive mon sang, quand la solitude même me dévorait les entrailles.

La solitude ; elle ne rôdait jamais très loin. Le silence dans lequel baignait ma chambre n'était rien face au vide de mon esprit. Avec le temps, les voix de mes proches s'étaient éteintes et les quelques livres à disposition ne suffisaient plus à combler le trou de mon âme.

Une boule étouffante naquis dans ma poitrine. Mon pouls s'accélérait. Je pouvais la sentir arriver, la crise d'angoisse. Je capturai un coussin pour le plaquer contre mon ventre, tentant de contenir l'émotion qui commençait déjà à déborder en sanglots.

— Maître... murmurai-je.

J'avais mal, très mal, la noirceur de mes pensées commençait à prendre le dessus sur le peu de raison qui me restait.

— Maître.... réitérai-je, souffrante. Maître...

Des grosses larmes perlaient le long de mes joues, retombant sur mes mains crispées. Recroquevillée sur moi-même, j'appelai à l'aide.

Dans ma torpeur, j'entendis des bruits de pas. Le lit grinça en s'affalant légèrement quand il s'assit dessus. Je ne l'avais pas entendu entrer, mais il était pourtant bien là, avec son regard rouge perçant, ses cheveux gris retombant sur son visage ridé, les mains gantées approchant les miennes. Je levai la tête pour le fixer de mes yeux humides, espérant trouver dans son regard une once d'empathie.

— Maître... je veux mourir... j'ai trop...mal, dis-je avec tristesse et sincérité.

Il referma ses mains sur les miennes, mécontent de la nouvelle.

— Qu'est-ce que tu racontes ? dit-il sèchement. Arrête de pleurer, tu es malade ?

Son teint de voix trahissait de la nervosité. Il me secoua.

— Explique-toi, insista-t-il.

Je le fixai sans un mot. Il était venu, pensai-je. Il était venu pour moi. Après avoir hésité quelques instants, je me décidai à déballer ce que j'avais sur le cœur.

— Je me sens seule et abandonnée. A quoi bon vivre si je ne compte pour personne, dis-je, la voix tremblante.

Il soupira longuement. Comprenait-il seulement mes mots ?

Il posa sa main sur mon front, pressant son pouce contre ma tempe. Je ne montrai aucune résistance, découragée. Entre ses doigts, je pouvais voir son visage. Il se concentrait. Ses yeux brillaient. C'était peut-être la fin. La douleur s'en irait, au moins.

Quelques secondes s'écoulèrent, rythmées par mon souffle saccadé. Finalement, il éloigna sa main et tira mon corps contre le sien, sans délicatesse. Il m'étreint impassiblement, tenant ma tête contre son torse. Je réalisai que quelque chose y battait, aussi. Malgré la froideur de son geste, l'étreinte réchauffa mon cœur. Ce n'était pas pareil, quand il buvait mon sang. C'était différent.

Sentant que mes tourments s'en allaient enfin, il prit parole, calmement.

— Je ne peux pas te rendre ton monde ni t'offrir la vie que tu aurais souhaité. Je ne peux pas non plus te tuer car j'ai besoin de toi. Je vais parler à Adeline et nous irons voir Gaen, si ça peut te soulager.

Je réalisai qu'il avait lu dans mes pensées. Je hochai légèrement la tête. Le chien d'Adeline s'appelait donc Gaen. J'étais heureuse d'avoir appris son nom. Mes larmes cessèrent de couler sans même que le Maître n'aie à me l'ordonner. Je reculai ma tête pour le regarder et fus surprise de découvrir ses deux yeux de prédateur aux pupilles dilatées. Notre proximité l'avait troublé. Sa bouche mi- ouverte dévoilait ses canines prêtes à mordre.

Mon regard se perdit dans ses cheveux dont une partie, fixée avec une corde reposait le long de sur son dos. Je constatai en silence qu'ils avaient poussé. Les vampires vieillissaient-ils donc ?

Sans trop réfléchir, j'approchai mes mains de sa tignasse pour en dénouer la corde. Il me laissa faire, suivant chacun de mes mouvements avec ses yeux rouges. Les mèches bouclées retombèrent sur son visage dans un nuage de cendre, dégageant cette fameuse odeur, celle qui précédait toujours une morsure. Je nouai alors mes cheveux avec la corde, révélant mes épaules. Je savais qu'il comprendrait le message. Je n'avais plus qu'à espérer qu'en échange de ma docilité, il se montrerait plus tendre, cette fois.

Dans un silence encore teinté par ma détresse passée, il planta sans violence ses canines dans ma chair. La douleur, bien que présente, était surmontable. Elle n'était rien face à la douleur psychique qu'il avait su chasser.

Tous deux apaisés, la vie reprit son cours. Le Maître partit au travail, verrouillant ma chambre en la quittant. Je regrettais qu'il ne me prenne pas avec lui, mais l'idée de revoir Gaen bientôt me rendait assez heureuse pour ne pas m'en soucier.

Les chiens des vampiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant