Parle-moi du bonheur (professeur-élève) - TERMINÉE

Chapitre 4 : Cheers Darlin'

Es-tu le fruit d'automne aux saveurs souveraines ?

Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs,

Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines,

Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs ?

Je sais qu'il est des yeux, des plus mélancoliques 

Qui ne recèlent point de secrets précieux ;

Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques,

Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux !

Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence,

Pour réjouir un cœur qui fuit la vérité ?

Qu'importe ta bêtise ou ton indifférence ?

Masque ou décor, salut ! J'adore ta beauté.

-  L'amour du mensonge, Charles Baudelaire

Après avoir rencontré la veille le professeur de Sciences Economiques, M. Hackel, la professeur d'Espagnol, Mme. Brunier, et celui d'Histoire-Géographie, M. Le Fevbre, Julia fit ce mardi matin la rencontre de son professeur de mathématiques, M. Duval. 

C'était un trentenaire dynamique, blondinet, avec une fossette très marquée au milieu du menton. Il portait une chemise sous un pull en soie, le tout parfaitement coordonné dans un camaïeu de bleus qui ne pouvait être que, Julia en était certaine, le fruit d'une femme.

Mais ce détail n'est pas exactement celui poussa la jeune fille à penser aux cours de mathématiques une bonne partie du reste de la journée. Ce n'est pas non plus la fossette d'ailleurs. Non, c'est le foutu devoir de connaissance que ce M. Duval avait osé lui imposer ( sous prétexte que le reste de la classe l'avait fait à la rentrée ) qui lui resta en travers de la gorge. Pourquoi fallait-il toujours que ce soient les professeurs de mathématiques qui aient cette charmante idée ? s'était-elle demandé. Peut-être était-ce une tradition sectaire ? "Se faire détester de ses élèves  : la clé d'une jouissance sadique''. Ce qui était certain, c'est que pour ceux qui ne se sentaient pas spécialement touchés par la poésie des algorithmes (c'était bizarrement le cas de Julia), il aurait mieux valu pour lui de s'attarder davantage sur le sens de ce que tout le monde appelle "didactique et pédagogie". 

Car ce maudit devoir, Julia ne daigna pas s'y pencher un seul instant. Elle avait beau avoir passé un pacte avec sa mère au sujet de son comportement et de son investissement dans le travail, les mathématiques étaient une cause perdue depuis son entrée en Seconde. Comment rattraper un tel retard ? Même avec la plus grande volonté du monde, elle n'y parviendrait jamais.

Lorsque le professeur passa dans les rangs après trente minutes de cours pour venir en aide à ceux qui tentaient de résoudre un exercice, il s'arrêta devant la table de Julia pour constater avec surprise que la seule encre versée sur sa feuille était celle qui avait servi à écrire son prénom, son nom et la date. 

- Qu'est-ce que tu attends ? demanda-t-il en adressant un regard de travers à Julia.

- Que l'heure passe, je suppose, murmura-t-elle avec une certaine désinvolture naturelle, le regard penché vers sa feuille.

- Tu vas me dire que tu ne peux répondre à aucune des questions ? 

Julia se redressa et fut surprise de voir tous les visages retournés dans sa direction. Quelques rires étouffés parsemèrent la salle. Elle sentit aussitôt ses oreilles chauffer et elle serra les dents.