- IV.

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Allongé sur son lit, les bras le long de son torse, TaeHyung fixe le plafond.

La vieille, ils ont trié ensemble la centaine de photographies qu'il avait prises lors de leurs marches et de ses ballades sur le port, dans le village et le long de la route abîmée.

Depuis huit jours qu'ils sont là, il a même eu le temps de visiter les alentours.

Ils n'en ont gardé qu'une bonne vingtaine d'exploitables, après plusieurs heures penchés sur l'appareil.

Au pied du lit gît son sac défait qu'il discerne dans l'obscurité, et il considère le tas de vêtements qui s'étale sur le parquet. La tête lourde, il reste immobile, et son regard se perd dehors. Il fait nuit depuis plusieurs heures déjà, et les maisons endormies s'élèvent en carrés plus sombres que le ciel.

Au loin, toujours ce phare inerte.

Il reste encore quelques minutes dans son lit, puis se relève doucement, s'assoit au bord et allume la lumière. Il doit être tard, et sans savoir pourquoi, il ne parvient pas à s'endormir.

Alors, il traîne dans sa chambre, ramasse ses affaires, les plie, les range, regarde par la fenêtre, lit quelques pages d'un vieux bouquin qui trainait dans la commode, contemple le plafond, se relève, se rallonge.

Mais au moment où ses paupières deviennent lourdes, il étouffe un bâillement et un bruit étrange résonne dans le couloir. Il se redresse brusquement, les oreilles vibrant dans le silence. Les yeux grands ouverts, il se dégage lentement de la couverture et pose ses pieds nus sur le sol.

Il marche jusqu'à la porte, quand, tenant la poignée d'une main, une série de petits coups brefs sont tapés sur le bois. Il tire le battant d'un seul coup et découvre Jimin, englouti sous un bonnet et un anorak. Son ami lui sourit simplement et entre dans sa chambre.

Il s'immobilise au centre, et dit avec une lueur dans les yeux :

«  - On va au phare. »

TaeHyung le regarde s'approcher de la fenêtre et se tourner vers la mer.

« - Maintenant ?

- Oui.

-  Non, Jimin. Il est trois heures du matin. Retourne te coucher. »

Jimin demande, avec un sourire si grand qu'il en devient malsain.

« - Tu n'as pas envie de le voir ?

-  Ce n'est qu'un bâtiment. Je ne comprends pas pourquoi tu t'entêtes à vouloir le visiter. »

Son ami avance de quelques pas, se place devant lui, et à la lumière jaune des lampes, les ombres de son visage s'accentuent. Il ne sourit plus lorsqu'il déclare d'un ton froid :

« - C'est plus qu'un simple phare, TaeHyung. »

Debout, adossé contre le mur, il soupire. Jimin semble convaincu de son idée, et il le connait assez pour savoir qu'il ne changera pas d'avis. Pourtant, ça lui semble tout de même stupide d'y aller immédiatement, alors qu'ils auront tout le temps demain.

Soudain, Jimin plaque sa main contre son front et lâche en riant :

« - Mais je suis bête ! Je n'ai toujours pas raconté son histoire. »

TaeHyung hoche la tête, et s'approche pour s'assoir en face de son ami. Il sait que l'autre a toujours préféré être assis pour raconter des histoires, et lui assis pour les entendre. Ils ont toujours répété le même rituel, depuis qu'ils se connaissent.

Jimin se racle la gorge, enlève son bonnet et écarte les pans de sa veste. Il tire la chaise qui trainait dans l'angle et s'assoit dessus, lentement. Puis, il pose ses mains sur ses genoux et le regarde dans les yeux.

« - Tu te souviens de la disparition de tous les habitants d'un village dans les années trente ?

-  Mes parents m'en ont parlé, mais je n'y avais pas vraiment prêté attention, à l'époque.

- Le village, c'était celui-ci. »

Le souffle de TaeHyung disparait et il manque de s'étouffer avec sa salive. Semblant ne pas s'en apercevoir, Jimin continue.

« - L'ancien occupant du phare avait un fils. On raconte qu'il était un peu étrange, mais ce ne sont que des rumeurs et je n'ai pas les moyens de les vérifier. Un jour, celui qui s'occupait de guider les bateaux chaque nuit est mort. Alors, son fils a pris la relève. Mais il était instable. Tous les matins, les villageois découvraient des bateaux écrasés contre le rivage, et des cadavres s'accumulaient dans le petit cimetière, sans qu'on ne sache leurs noms. Pour certains, leurs familles n'ont même pas pu être prévenues. Ils ont essayé de le trouver pour le convaincre de laisser le phare, mais il disparaissait dès qu'il faisait jour. Et toutes les nuits, des gens mourraient dans des épaves de navires. »

Le drap du lit serré dans sa main et le regard fixé sur le visage de Jimin, TaeHyung se raccroche à des sensations physiques pour ne pas sombrer. Il a toujours été très sensible à la façon dont son ami contait ses récits, tellement qu'il sent presque une présence émaner du phare.

Jimin reprend et il suit de ses yeux ses mains qui voltigent au rythme de ses mots lancés dans les lumières de la chambre. 

« - Et puis, alors que ça faisait plusieurs jours que les bateaux ne s'écrasaient plus sur la digue, des habitants ont commencé à mourir dans leur lit. Le jeune gardien incompétent était introuvable, mais il paraitrait que les nuits de pleine lune, une étrange lumière rayonnerait dans le phare. Des gens ont voulu fuir le village qu'ils trouvaient maudit, mais ils sont tous morts sur la route. Tout le village soupçonnait le fils, mais personne n'avait de preuve et il était toujours invisible. Les habitants qui étaient tués devenaient de plus en plus nombreux, sans qu'on ne trouve aucun indice. Un jour, il ne resta plus qu'une femme.

C'était celle du maire. Elle a traversé le village, s'est approché du phare et a ouvert la porte. Mais au moment où elle s'apprêtait à entrer, elle a fait demi-tour. Et elle a hurlé, s'est arrachée les cheveux, la peau de ses joues, de ses bras, s'est mordue jusqu'au sang puis s'est jetée dans la mer. Son corps a disparu, engloutit par les flots.

Depuis, plus personne n'est jamais entré dans ce phare. »

Jimin regarde son ami qui, les yeux agrandis par l'effroi, fixe la nuit. Le jour se lèvera bientôt, et le ciel au dessus de la mer s'éclaircit. TaeHyung expire longuement, les yeux fermés, et quand ils les rouvrent, Jimin se tient debout face à la porte.

Un pied dans le couloir, il chuchote une dernière phrase avant de disparaitre dans les ténèbres.


« - On raconte partout que l'esprit du fils y vit encore. »

Les Mythes Fondateurs | TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant