- IX.

1.5K 272 38
                                    

Les yeux ouverts dans le noir et les oreilles bourdonnantes d'un silence trop épais, TaeHyung compte. Une à une, chacune des erreurs qu'il a fait dans sa vie. Quand il avait quatre ans, il a poussé son frère de la balançoire. Lors de sa sixième année, il a tué une colonie de fourmis en les brûlant à la loupe. Ça sentait comme quand sa mère brûlait un gâteau et s'énervait dans la cuisine. Lors de son entrée au collège, il a donné les mauvaises réponses à un contrôle, consciemment, à son camarade de classe. Durant ses années de lycée, il a volé de l'argent à sa mère pour acheter des cigarettes. Il se souvient des tâches sur les murs du local, là où il allait pour fumer et se sentir comme tous les autres.

Il a si souvent menti, trahi, blessé, frappé de ses mots, de ses gestes, de ses pulsions, de ses envies sans lendemains. Il se griffe la paume sans vraiment s'en rendre compte, tellement il est obsédé par cette sensation de saleté qui colle à sa peau.

Les souvenirs de son passé le submergent si fort qu'il inspire et expire plusieurs fois pour dissiper les larmes qui ne coulent pas encore dans ses yeux.

Il a honte de ce qu'il était. Il renifle dans l'obscurité, mais s'arrête soudainement.

Un bruit résonne dans le couloir. Pas à son étage, il ne croit pas, mais au dessus.

TaeHyung hésite quelques instants, rabat la couverture sur ses jambes nues, frissonne de froid, pose ses pieds sur le parquet gondolé, immobile, attend, écoute les craquements du bois, ceux des pas qui se croient discrets au dessus de sa tête, puis saisit son pantalon de la veille qui gît sur une chaise.

Il n'a rien à gagner à rester éveillé toute la nuit pour se flageller dans le noir.

Il n'allume pas la lumière, enfile une veste, ses chaussures sans chaussettes et pose sa main sur la poignée en retenant son souffle. Quelqu'un descend l'escalier. Le silence vibre autour de lui, puis il force doucement sur le battant. La porte s'entrouvre lentement et il distingue les contours du couloir plongé dans le noir.

Lorsqu'il passe sa tête dans l'embrasure, le faisceau d'un téléphone portable disparaît à quelques mètres.

Il referme doucement la porte derrière lui et s'avance dans le couloir. Focalisé sur l'ombre qui s'éloigne, il ne remarque pas le rayon de lumière qui passe sous le battant de la chambre de Jimin, ni la voix rauque qui récite un à un les dix sacrements de Dieu.

Il suit la lumière en essayant de rester discret, se cache, se fond dans l'obscurité, s'oublie dans le noir, s'efface dans la nuit. Il ne parvient pas à voir le visage du rôdeur, et son corps est caché par des vêtements sombres. TaeHyung le suit lorsqu'il sort de l'hôtel, en empruntant une petite porte. Il se plaque contre un mur, tourne la tête, voit que sa filature est entrée dans un petit cagibi à l'écart du bâtiment principal.

Il y a un long silence pesant, le bruit d'une allumette contre le souffre et une odeur de bois sec.

Quand il en ressort, le rôdeur passe à quelques mètres de TaeHyung, qui se plaque contre le mur en retenant sa respiration. Quand il la relâche, une fois que la lumière est repartie, il inspire plusieurs fois.

Mais à chaque fois, il est certain d'inspirer des vapeurs de fumée. Quand il se retourne, le dos contre les pierres anguleuses et les orteils frottant dans ses chaussures, il distingue dans la nuit les vagues de chaleur qui tourbillonnent autour du cagibi. Et sans qu'il ne parvienne à bouger, le feu lèche l'embrasure de la porte et s'élève jusqu'au toit.

Les flammes grandissent, carbonisent, vomissent des planches et des boulons, avalent le bois noir, craquent, les flammes détruisent et en sont fières.

Elles illuminent le jardin, et dans l'immeuble, quelqu'un crie.

Lorsqu'un relent de chaleur lui frappe le bras, il sort enfin de sa transe contemplative. Ses semelles dérapent dans l'herbe et sur le perron quand il court jusque dans l'hôtel. Il monte les étages en se tenant à la rampe, toque à toutes les portes et crie, lui aussi.

« - Sortez ! Ne restez pas ici, courez ! Bouge, réveille-toi ! »

Il se heurte aux gens effrayés qui s'échappent vers l'escalier, se cogne aux épaules dans le couloir étroit, crie encore un peu et ne prend pas le temps de regarder la dernière femme en robe de chambre emprunter les marches.

Il espère avoir réveillé tout le monde, passe à l'étage suivant, croise quelques personnes qui sortent de leur chambre, les yeux cernés et le teint pâle, leur ordonne de sortir, de courir, de prendre les escaliers, de ne rien emporter, juste de courir.

Il voit par la fenêtre les hautes volutes de fumée qui dansent à la lueur du brasier.

Quand il toque précipitamment contre une porte au bout du couloir du troisième étage, personne ne répond. Il frappe encore le battant, plusieurs fois, mais JungKook lui attrape la main pour l'entrainer dehors, alors il espère qu'il a fait assez de bruit pour réveiller son propriétaire.

Il ne se débat, se laisse trainer par les bras musclés et chauds qui l'entourent.


Quelqu'un a incendié le cagibi, et il était là.

Quelqu'un a peut-être voulu que le brasier se propage.

Quelqu'un a peut-être voulu tuer des gens et il était là.


Il était là.


Une fois dehors, le vent frappant son visage et la peau de JungKook contre son bras, il regarde les braises qui dansent dans le ciel. L'hôtelier, sa femme, l'épicière et la plupart des autres habitants l'ont aidé à éteindre les flammes.

Désormais le vieil homme se tient affaissé contre un mur, les épaules voûtées et le regard perdu entre les planches calcinées.

TaeHyung pleure doucement, et la chaleur des larmes sur son visage brûle sa peau.


Ou peut-être que ce sont les doigts bouillants de JungKook qui entourent les siens en silence, tandis que retombent sur l'herbe tendre les vestiges d'une vie.

Les Mythes Fondateurs | TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant