#Prologue

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L'angoisse.

Aujourd'hui, ma vie prend un autre tournant. Un virage à cent quatre-vingts degrés digne d'un grand huit à sensation dans un parc d'attraction.

La peur.

Aujourd'hui, mes émotions se contredisent entre soulagement et frayeur. Un léger filament de sueur parsème mon front d'humidité, et mes mains moites s'emmêlent tout en s'étirant pour calmer mon angoisse. Mes paumes froides contrastent avec la rougeur chaude de mes joues. Ma tête bouillonne, et mon cœur entame un rythme effréné sous la panique.

Que fais-je ici ?

Cette question me taraude l'esprit depuis des dizaines de minutes. Assisse près de la table à manger, je n'ose pas remonter mon regard vers cette auteure. Une écrivaine publiquement connue qui a souhaité transcrire mon histoire avec mes mots. Durant plusieurs années, les médias m'ont incité à le faire ; interview, livre, témoignage et reportage en tout genre. Les idées sont perpétuellement apparues autour de moi, mais je n'en ai jamais eu la force. Ma vie est faite ainsi, j'ai appris à l'assumer, mais jamais je n'avais pu concevoir d'en parler. Jamais... Mais tout a changé aujourd'hui. Il est la raison de ce changement, de cette envie.

— Mademoiselle Fonci, vous êtes prête ?

— Appelle-moi Rune je préfère, ça fera plus familier, intervené-je.

Elle acquiesce, puis avant de revenir vers moi, elle tourne la tête à l'opposé de ma position et rejoins la discussion de son éditeur. Cet homme est une personne avec une classe fulgurante. Son corps robuste aurait dû m'impressionner, mais depuis ce jour, depuis que j'ai connu ce monde, les humains ne me font plus peur. L'angoisse n'est plus mon alliée face à eux, elle est tout le contraire.

— Mademoiselle Fonci, Aurora va s'appliquer à rendre cette histoire émouvante, que ce livre témoignage puisse conquérir un public afin que tout cela s'ancre dans les mémoires. Vous devez être la plus précise possible ; les détails c'est important dans une histoire comme celle-ci.

Comme celle-ci, qu'est-ce que cela voulait vraiment dire ? Je ne suis donc qu'un pantin pour eux ? Un objet de souffrance qui rapportera de l'argent.

— Du marketing quoi, répondé-je sans aucun sentiment.

Il lève les épaules, et me tend une moue contrite.

— Et j'en viens à supposer que ça sera un titre en anglais, plus vendeur n'est-ce pas ?

— Je... Euh...

Je l'interromps aussitôt.

— Ne vous en faites pas, la société nous oppresse, et nous conditionne. Ce n'est pas à moi que vous allez l'apprendre, mais ne perdons pas de temps. Plus vite ce sera fait, mieux ça sera.

Il m'envoie un signe de tête, et laisse la parole à Aurora. De nouveau, elle me pose cette question fatidique :

— Rune, prête ?

Je lui tends un léger sourire, contente qu'elles en viennent à la familiarité. Pas de chichi, et tout se passera bien.

— Je crois, répondé-je dans un ton peu convaincu.

Elle hoche la tête, et j'exécute la même chose pour calmer mon angoisse. Je deviens un pantin, transportée dans ce monde dont je ne contrôle plus aucune notion. Tout est vague, presque flou, et pourtant, en ce début de printemps je vais dévoiler une partie de ma vie. Mon histoire deviendra celle du peuple, et des centaines de personnes me toléreront leur pitié ; mais je n'en veux pas. L'empathie sert simplement à faire vivre l'être humain, à lui donner de l'espoir et se sentir animé en comprenant les autres. Cependant, rien de tout ça me compose. Je suis faite d'un passé noir, et mes mains sont remplies de sang. Jamais rien ni personne ne pourra changer ça. Ceci est mon histoire, et dans un dernier souffle, je commence à la réciter sans aucun sentiment agréable.

SOMBRE RédemptionWhere stories live. Discover now