Chapitre 12 : Vivere e sorridere

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L'espérance est une détermination héroïque de l'âme,

et sa plus haute forme est le désespoir surmonté.

Essais et écrits de combat, Georges Bernanos.

Lorsque Fabio Nicorelli regagna ses cuisines après sa pause cigarette, il fut étonné de voir que la jeune Julia était toujours à l'endroit où elle se tenait lorsqu'il était sorti, un tablier de cuisine autour de la taille, les mains au dessus de l'évier à essuyer une assiette propre, l'air pensif, presque triste comme il l'était parfois. Il n'en comprit pas tout de suite la raison. Sa journée de travail était terminée, Antonio et Tobia ne s'étaient pas fait prier pour déserter les lieux, et selon l'heure qu'indiquait l'horloge, il était déjà grand temps pour elle de rejoindre son groupe avant le repas du soir. Ce n'est qu'au milieu de sa réflexion que Fabio réalisa, non sans un réel pincement au cœur, que la semaine arrivait à son terme, et que la jeune fille à qui il s'était terriblement attaché en si peu de temps passait ses derniers instants dans les cuisines de l'auberge.

Et en effet, ce sont les souvenirs de cette semaine qui occupaient l'esprit de Julia. Pas le rapprochement qu'avait occasionné la cohabitation des trois lycéennes, ni les longues conversations qu'elle avait partagées avec Raphaël dans la salle de détente, mais bien les heures qu'elle avait passées dans ces cuisines, avec Fabio, les deux commis, Antonio et Tobia, et le poste de radio qui entonnait sans interruption les vieux tubes italiens préférés du cuisinier. Il faut dire que dès son arrivée, Julia avait été intégrée à l'équipe comme une employée à part entière. Mis au courant du caractère récalcitrant de la jeune fille, Fabio n'avait pas attendu pour la mettre à l'épreuve et, contre toute attente, c'est en lui confiant des responsabilités similaires à celles d'Antonio et de Tobia qu'il éprouva sa fiabilité. Dès qu'elle eût fini de nettoyer la vaisselle après le départ de Callini, Fabio l'invita à l'assister dans ses préparations. Une telle confiance surprit Julia. Il s'agissait de tâches sérieuses, si son travail n'était pas effectué correctement, le cuisinier perdrait du temps à rattraper ses erreurs, et cela impacterait son travail. Il avait de nombreuses raisons de douter de la jeune fille, et il aurait facilement pu se débarrasser d'elle en lui assignant des tâches basiques de nettoyage, mais il avait semblé mettre un point d'honneur à la traiter comme une véritable apprentie. Aussi Julia décida de se montrer à la hauteur de cette confiance, et n'être pas un fardeau pour le cuisinier.

Elle avait appris de nombreuses astuces de cuisine au cours de sa première journée, et lorsque Fabio l'avait remerciée pour son aide au moment où elle quittait les lieux, les traits fatigués de son visage s'étaient égayés malgré elle. Au fil des jours, le respect et l'admiration de Julia pour la passion du cuisinier augmentèrent, et l'ambiance joyeuse de l'équipe eut raison de son attitude d'ordinaire si froide. C'est finalement avec la même satisfaction personnelle et le même sourire aux lèvres qu'elle sortit des cuisines de l'auberge tous les jours jusqu'au vendredi.

Vivere de Vasco Rossi commençait à résonner dans la pièce quand Julia fut tirée de ses pensées par le cuisinier. Il lui avait pris l'assiette des mains, et lui adressait son indétrônable sourire boute-en-train, ses yeux tendres posés sur elle.

- Un ultimo ballo (Une dernière danse) ? demanda-t-il, offrant sa grande main charnue à la jeune fille.

Comme sous l'effet d'une aura magique dont lui seul avait le secret, les épaules de Julia se détendirent et un véritable et franc sourire égaya son visage. Elle retira sans hésiter son tablier sale et posa sa fine main dans celle du cuisinier, mimant une révérence précieuse. L'impulsion délicate de l'homme la fit tourbillonner sur elle-même et lui arracha un rire silencieux. Une fois face à face, la main libre de Julia se posa naturellement sur l'épaule de Fabio, et les deux acolytes commencèrent à se mouvoir plus ou moins simultanément, maladroitement mais sans honte, au rythme doux et entraînant de la chanson. Comme à son habitude, Fabio, les yeux comme absorbés par l'instant, se mit à marmonner plus ou moins inconsciemment les paroles de sa voix de baryton.

Parle-moi du bonheur (professeur-élève) - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant