Chapitre 4

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- Je crois que j'vais aller me coucher, euh... à demain ?

- Oui ! Oui à demain, dit-il en se reprenant.

- D'accord, à demain alors...

- Non attends ! Le matin j'ai une réunion importante mais on pourrait manger ensemble si tu veux ? Sur la place de la fontaine, je crois qu'elle te plait.

- Oui, tu n'as pas tort. Bonne nuit.

- Bonne nuit !

Il t'aime.

- Non, murmuré-je en m'éloigant, il tient juste beaucoup à moi.

Il t'a comparée aux étoiles !

- Comme il aurait pu me comparer à un arbre doté d'une multitude de branches, ça ne signifie rien.


Théo jugea qu'il en avait trop dit, encore une fois, car ses émotions étaient trop fortes pour rester entre quatre murs, ou plutôt quatre membres, ou du moins dans son cœur. Mais comment ne pas la complimenter ? Comment lui cacher toutes les belles pensées qu'il avait d'elle ? Une fleur est belle pour qu'on la cueille et la respire, une beauté doit être visible de tous et avoir des admirateurs. Au diable la laisser pousser et fleurir puis se faner et mourir en la regardant de loin sans la toucher ! Ambroisie était de ces beautés rares et fragiles qu'un effleurement suffisait à détruire. Théo voulait d'elle comme on veut de la chance mais l'avoir serait la dénaturer et alors elle perdrait sa poudre de fée. Il était tiraillé entre s'éloigner d'elle ou s'en rapprocher. Parfois il oubliait que trop parler la mettrait mal à l'aise et se perdait dans les déclarations, d'autres fois il se sentait coupable vis-à-vis d'elle et l'évitait à tout prix pour l'épargner de son amour. Ce soir-là, cependant, il ne ressasserait pas ses confidences blottit dans ses draps, car un tout nouveau problème se posait à lui. Alors qu'il pénétrait dans sa suite et allumait la lumière, il remarqua une présence assise sur son fauteuil. Légèrement raidie quoi que mettant en œuvre tous les moyens afin de paraitre détendue. Théo reconnu les cheveux blonds de celui qui avait grandi dans ce Palais, avec lui, et qui avait toujours été le plus faible, le plus peureux et le plus lâche des deux. Or ils avaient chacun évolués et en quittant le Paradis Daniel avait pris de grands risques en remettant une lettre à Ambroisie.

- Danny ?

- Tu as l'air surpris, constata l'intéressé faussement serein.

- Eh bien c'est peu de le dire. Tu es entré par effraction dans mes appartements en pleine nuit alors qu'on te croyait tous à Paris auprès du Cercle.

- Tu as la mémoire courte.

- Pardon ?

- J'ai pris des risques inconsidérés pour toi, je n'ai toujours pas reçu de remerciements ni de nouvelles.

- Est-ce la raison de ta visite ? Félicitation tu as fait le facteur ! Vois-tu je suis très occupé en ce moment.

Daniel parut vexé au plus haut point.

- Tu seras content d'apprendre que je suis venu te soulager d'un poids.

- Ah oui lequel ?

- Ne sois pas insolent avec moi !

A cet instant Daniel ressemblait à un enfant gâté. 

- Tu t'es regardé ? T'es assis sur mon fauteuil.

- Non.

- Non ?

- Non.

- Et veux-tu bien m'expliquer pourquoi tu me contredis ? A moins que tu ne sois pas encore décidé...

- C'est toi l'indécis.

Théo haussa un sourcil. Il rêvait. Sinon comment expliquer cette scène ?

- Tu aurais pu t'emparer définitivement du pouvoir... mais tu as hésité trop longtemps. A présent je suis là pour reprendre ce qui m'appartient, y compris ton fauteuil. C'est moi l'héritier du trône. Je me proclame Roi du Paradis.

En une fraction de seconde Théo revit le pendentif bleu, sa mère aux traits rongés par la folie et Evelyne, lui livrant ses derniers secrets.

- On t'a menti. Je suis désolé.

- Qu'est-ce que tu racontes ? Tu ne t'avoues pas encore vaincu mais ça viendra bien assez tôt ! s'écria Daniel dans une colère mêlée de peur dont Théo ne comprit pas la provenance.

- Tu es né dans un quartier pauvre de la Cité pratiquement le même jour que moi, commença Théo. Je suis le fils du roi, assassiné en aval d'un complot. Pour me protéger ma grand-mère nous a échangés et tu as subi l'enfance qu'on me réservait, par chance la Couronne a trouvé un moyen pacifique de se débarrasser de toi et tu es encore vivant... Malheureusement tu n'es qu'un enfant qu'on a abandonné et moi je suis orphelin. J'ai de quoi le prouver ; je détiens également l'identité de tes vrais parents. La Révolte a fait beaucoup de morts alors je ne te garantis pas qu'ils soient encore en vie... mais il y a peut-être une chance.

- C'est faux, susurra Daniel le regard dans le vide. Tu divulgues des mensonges. Tu as toujours voulu régner, je le sais. Je vais dire à tout le monde que tu mens, personne ne te croira.

- Danny... Je suis désolé, vraiment... mais tu ne m'as jamais entendu mentir.

- Tu as raison. C'est la vérité qui vient de sortir de ton affreuse bouche.

- Alors pourquoi tu es en colère et pourquoi tu sembles terrifié ?

Daniel s'était mis à murmurer des paroles inaudibles.

- Si tu meurs tout rentrera dans l'ordre, dit-il soudain d'une voix ferme.

- Danny ?

- J'ai toujours détesté que tu m'appelles comme ça ! hurla-t-il en se jetant sur Théo.

Les deux jeunes hommes s'étalèrent sur le sol, percutant une table au passage. Une multitude d'objets se dispersèrent sur le tapis rosé, comprenant un vase qui se brisa en éclats de verre et déversa son eau et ses fleurs sur les vêtements de Daniel. Son visage était déformé par la rage, la haine, la jalousie et la rancune, tandis que des larmes floutaient sa vue, ne lui laissant d'autre option que de frapper à l'aveuglette. Théo cessa de lui crier d'arrêter et se résigna à répliquer. Ils roulèrent plusieurs fois, chacun tentant de prendre le dessus sur son adversaire, en s'empoignant par le col et rassemblant leurs forces pour s'abréger mutuellement des coups de poings au visage et dans les côtes. Si leurs professeurs les avaient vus, ils se seraient demandés qui étaient ces deux alcooliques réglant leur compte à la sortie d'un bar. Le tee-shirt de Théo se déchira et il repensa à Am, à peine une heure plus tôt, devant qui il l'avait ôté répliquant qu'il était neuf. Puis Daniel referma ses deux mains sur son cou et se mis à serrer de plus en plus fort, Théo sentit ses yeux sortir de leurs orbites et ses vaisseaux sanguins s'épaissir sous sa peau, près à exploser.

Daniel, pensa-t-il, celui à qui personne n'avait jamais prêté attention.

- THEO ! s'écria une voix stridente.

Le cri fut bref mais attira l'attention de Daniel qui desserra son étreinte. Théo en profita pour se dégager et lui attraper solidement la tête. On entendit un craquement sourd puis le corps s'effondra avant de se figer en statue de pierre.


Ombre & Lumière Tome 3 - Les Cascades de SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant