Chapitre 8

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Ce soir Théo est en retard. Je patiente sur le balcon du monde, observant un petit groupe d'expéditeurs de retour à la Cité après un bref voyage. Non loin de la lisière de la forêt, la tour fend le ciel étoilé comme une lame essayant de transpercer le cœur de la nuit. La lune est cependant trop haute, inatteignable. Le Mal se place souvent en-dessous, proche de la terre, tandis que le Bien s'élève. D'aucuns persistent à croire qu'il en va ainsi, j'ose espérer que les éléments sont plus condensés, qu'il n'y a ni blanc ni noir, mais plutôt une infinité de nuances de gris. Beaucoup d'interrogations demeurent sans réponses. Je me souviens des questions que l'on se posait avec Yanis avant de se résigner. On a beau chercher les réponses, parfois ceux qui les détiennent aiment à nous voir courir après des quêtes impossibles, se riant tant et si bien de nous qu'ils en restent muets.

- Excuse-moi j'arrive un peu tard, lance Théo en me rejoignant au bord du balcon. Les premiers gardes se préparent à partir, on devrait les voir passer bientôt.

- Il y en a combien ?

- Une trentaine. Juste l'histoire de faire état des lieux.

- Je vois...

- Quoi ? Tu penses qu'il faudrait directement passer à l'offensive, lancer une attaque maintenant ? demande-t-il très sérieusement.

- Est-ce que les vampires sont au courant ?

- On a envoyé une lettre à Pablo Malatesta dans la journée pour le mettre en garde. C'était une sorte d'avertissement. Il doit renoncer.

- Je suppose qu'il a des siècles et des siècles d'expérience derrière lui ?

- C'est exact.

- Dans ce cas tu le sous-estimes. Il ne se pliera pas à ta bonne volonté. Il sait que la Révolte a fragilisé le Paradis et que nous sommes désorganisés. Tu sais ce qu'il va faire ?

- Non.

- Prévenir ses connaissances et leur promettre un beau pactole s'ils se battent à ses côtés. Ils ne tarderont pas à le rejoindre.

Les yeux bleus de Théo dérivent dans le vide. Peut-être qu'il ne fait pas un si bon chef, tout compte fait.

- On ne les battra pas tous seuls ils sont bien trop forts, affirmé-je.

- Comment tu veux faire ? Je ne peux plus reculer, maintenant.

- Ce n'est pas ce que je cherche à te faire comprendre, exposé-je d'une voix douce. A mon avis une guerre peut être bénéfique si elle permet de renforcer des liens. Enfin... « bénéfique », le mot est un peu fort. J'ai discuté avec Lahela tout à l'heure et elle a approuvé, alors je te fais confiance... Je suggère que nous fassions appel aux démons. Laisse-moi leur parler, j'ai foi en eux, en la bonté que beaucoup pensent exclue de leur âme.

L'ange arbore la même expression que trois mois auparavant, devant le Portail, avant que je ne parte avec Yanis. Son visage exprime une sorte de capitulation.

- Je trouve l'idée intéressante.

- C'est tout ?

- On leur écrira une lettre en espérant qu'ils répondent avant que toute notre armée ne soit décimée.

- Non ! Non enfin tu l'avoues toi-même on ne fait pas le poids face à la horde de vampires qui va déferler sur mon village ! Pour une cause perdue, je précise ! Soit tu acceptes que je me livre aux vampires, soit tu me laisses parler en personne avec les démons. C'est le seul moyen qu'ils nous écoutent !

- Tu crois encore que je vais accepter de telles propositions ? Tu es trop importante pour ça.

Parce que tu m'aimes, hein ?

- Et ma famille est trop précieuse pour que je l'abandonne. Trop de gens sont morts à cause de moi, dis-je en songeant à Loana et aux pirates.

Evoquer ma famille me fait l'effet d'un choc. Je l'ai déjà abandonné. Mes parents ont sûrement placardé les murs de la région de photos de moi, des alertes-enlèvements sont peut-être diffusées à la télé et sur les réseaux sociaux. Quoi encore ? Quels autres phénomènes ai-je vu du temps où je vivais dans mon village quand un enfant disparaissait ? Je suis comme eux et ils sont comme moi. Il est possible que certains de ces disparus aient été « recrutés » par des peuples surnaturels après tout.

- Je ne te laisserai pas aller en Enfers.

- Je crois que j'y suis déjà.

Je lui tourne le dos et fais quelques pas avant de me raviser.

- On a qu'à organiser une réunion ou un rendez-vous dans un endroit tranquille ?

- Je sais pas...

- Quoi ? lui demandé-je en découvrant son visage affecté, comme vexé.

- Eh bien, je fais tout ou presque pour que tu sois heureuse. Je pense à ton bienêtre tout le temps, de partout. Pourtant ça n'a pas l'air de suffire, loin de là à ce que je vois. Tu as l'impression d'être en Enfers ? Ça ressemble au royaume d'Hadès, ça ? m'interroge-t-il d'un ton froid en ouvrant grands les bras afin de mettre en évidence le paysage. Ah bon... Désolé de ne pas être à la hauteur, alors. Et cette fois-ci c'est moi qui me casse en premier, lâche-t-il en partant.

Je le regarde s'éloigner, persuadée qu'il va revenir et que sa colère va passer... or un détail fait toute la différence quand on y réfléchit bien, il n'est pas énervé, il est déçu. Voir de la déception sur le visage de Théo, lui que j'ai connu si gentil, est sûrement une des pires choses qui puisse m'arriver en ce moment. Si Evelyne nous voyait nous déchirer...


Cher représentant du peuple démoniaque,

Comme vous le savez probablement, une guerre aux enjeux majeurs se prépare. Des vampires, n'ayant pas respecté les lois mais plutôt exprimé leur désir de s'y déroger encore, s'exposent donc aux sentences des cieux.

Vous ne pouvez nier le fait d'être concernés par ce conflit qui entraine de nombreuses prises de positions. N'omettez pas de vous remémorer que de toute guerre naissent des alliances et que chaque combat renforce des liens ou alimente le ressentiment.

Moi, Ambroisie Borély, dite l'Immortelle, aimerais m'entretenir avec vous.

Veuillez accéder à ma requête en envoyant une réponse adressée à ma personne.

Amicalement.


Ombre & Lumière Tome 3 - Les Cascades de SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant