Chapitre 3

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Olivia était assise près de la fenêtre, un recueil de poésies dans les mains, quand elle entendit les sabots claquer sur l'allée de gravier. Son cœur bondit aussitôt dans sa poitrine, ses mains se firent moites. Elle se leva précipitamment, abandonna son livre sur le velours du fauteuil et se dirigea vers l'entrée, prête à accueillir Narcisse comme à chaque fois qu'il rentrait. Cependant, quand elle fut sur le point d'arriver dans le hall, elle se ravisa. Un soupir s'échappa d'entre ses lèvres, vidant ses poumons trop pleins d'air alors qu'elle se figeait. Elle se rappela qu'il ne recherchait pas sa présence. Qu'il n'était pas heureux quand le premier visage qui l'accueillait chez lui était le sien.

Alors elle se dit que pour une fois, pour cette fois et la toute première depuis qu'ils étaient mariés, elle dérogerait à sa règle. Elle fit demi-tour, attrapa son livre et se replongea dedans. Ou du moins, elle fit semblant.

La porte d'entrée s'ouvrit, elle entendit le pas de Narcisse résonner sur le marbre du hall. Sa main libre agrippa l'accoudoir du fauteuil pour résister à l'envie de le rejoindre. Olivia brûlait de le voir, il lui tant avait manqué. Elle se sentait également honteuse d'être ainsi obsédée par cet homme qui l'ignorait. Quand elle aurait dû s'offusquer de son manque d'intérêt ou ne pas s'en soucier, elle se rendit compte que son attitude lui procurait l'effet inverse. Aussi incroyable que cela était-ce, elle ne l'en désirait que davantage. Sa soif de le conquérir était absolue. Elle la transformait en un voyageur perdu depuis des jours au cœur d'une interminable forêt, cherchant une source pour y tremper ses lèvres et s'abreuver. Mais Narcisse ne lui montrait pas le chemin à emprunter.

Elle attendit.

Son souffle était suspendu, son ventre se tordait violemment et ses doigts se crispaient un peu plus sur le velours de l'accoudoir. Elle luttait contre ce besoin irrépressible de vérifier qu'il était bien là. De contempler ce visage froid et délicat, toujours parfaitement stoïque. Parce qu'il ne ressentait rien en sa présence et elle en avait douloureusement conscience.

Les pas s'arrêtèrent vers la double porte du salon. Son pouls s'accéléra encore, elle avait mal dans la poitrine. Dans ses entrailles. Olivia espérait de tout son être qu'il pousserait le battant, qu'il viendrait la saluer, ne serait-ce que par politesse.

Il n'en fit rien.

Narcisse s'éloigna, et tout son corps crispé par l'attente se détendit mollement. Encore une fois, elle avait espéré en vain, il ne viendrait jamais vers elle. Peut-être qu'aujourd'hui, comme cela lui arrivait quelques fois par semaine, il consentirait à prendre son repas dans la salle à manger, à quelques mètres d'elle. Sinon il ressortirait et dînerait sans doute en ville, peut-être chez ses parents. Aussi pitoyable était-ce, si les rares fois où ils mangeaient ensemble le silence s'invitait à leur table comme un troisième convive, la seule présence de son époux la comblait.

Ces jours-là, Olivia l'observait à la dérobée, se régalait de l'éclat brillant de ses yeux, de la courbe sensuelle de ses lèvres qu'elle n'avait jamais pu goûter, de ce nez droit et fin, de son port altier. Elle le trouvait parfait.

Son mari, cet inconnu.

Résignée, la jeune femme se redressa une nouvelle fois, ferma son livre et quitta le salon. Elle monta lentement les marches du grand escalier pour rejoindre ses appartements. Olivia demeurait dans l'aile droite du manoir, Narcisse se trouvait à l'exact opposé. Deux étrangers cohabitant dans une immense bâtisse où le vide régnait en maître. Où le silence était parfois si assourdissant qu'il lui vrillait les tympans. Qu'il lui donnait envie de hurler, juste pour entendre un son se répercuter à l'infini dans cette prison désolée. Parce que malgré la liberté dont elle disposait, comme le lui avait si bien promis le jeune homme lors de sa demande en mariage, elle se sentait en effet emprisonnée.

Six mois auparavant, elle était comme un majestueux rapace qui arpentait le monde sans entrave, le cœur libre de tout attache. Depuis que son époux avait jeté son dévolu sur elle, Olivia avait perdu de sa superbe. Il avait fallu que Narcisse entrât dans sa vie pour qu'elle se transformât en un minuscule passereau qu'on avait enfermé dans une cage dorée. Un tout petit oiseau qui attendait, derrière ses barreaux, qu'on se rappelât de son existence et qui devant tant d'indifférence, se demandait encore pourquoi il avait été capturé.

Olivia poussa la porte de sa chambre et la referma derrière elle. Ici, le même silence l'accueillit. Elle s'approcha de sa coiffeuse, observa son reflet qui lui paru bien trop terne. Elle se sentait si laide depuis quelques temps. Le lys blanc avait fané.

Elle décida de se préparer pour le dîner, au cas où Narcisse déciderait de l'honorer par sa présence. Il fallait qu'elle soit jolie, désirable. Qu'elle sente bon. Qu'elle refleurît, rien que pour lui. Elle avait comprit avec l'aide de Marianne, qu'en se perdant ainsi dans son attente, elle avait fini par se négliger. Bien entendu, elle était toujours propre, impeccablement vêtue et coiffée mais elle manquait de vitalité. Et personne ne regarde avec envie les choses qui dépérissent, les yeux fiévreux se posent toujours sur la beauté lumineuse, l'énergie. Depuis quelques temps, elle en manquait cruellement.

La jeune femme appela Marianne qui accourut au pas de course. Elle lui demanda de lui préparer son bain et pendant que celle-ci le remplissait, Olivia chercha une toilette qui lui siérait particulièrement au teint. En avisant les différentes étoffes, elle se dit que peut-être, elle devrait renouveler sa garde robe et faire appel à la couturière. Si elle ne se souciait guère de suivre la dernière mode de Paris, elle avait trop de fierté pour se montrer négligée. Elle sélectionna une tenue crème puis la déposa sur son lit.

Quand elle plongea enfin dans son bain chaud qui sentait bon l'essence de rose, Olivia congédia Marianne pour rester seule. Elle prit son temps pour se laver afin de se réconcilier avec ce corps qu'elle avait dédaigné depuis six mois. Elle se savonna méticuleusement, nettoya ses longs cheveux blonds. Les fragrances fleuries qui montaient du savon lui donnèrent la sensation d'éclore. Son estime revint au galop.

Quelle femme pouvait se sentir forte, sûre d'elle quand son mari ne l'avait jamais touchée ? Un sentiment d'incompréhension avait accueilli cette vérité. Avec une pointe de recul et les propos de Marianne cette après-midi, Olivia avait compris que le problème ne venait peut-être pas directement d'elle, mais de Narcisse. Il n'avait plus jamais cherché à engager la conversation avec la jeune femme depuis qu'il avait obtenu ce qu'il convoitait. Il y avait forcément une explication à tout ce théâtre, pourquoi l'aurait-il choisie, elle précisément, alors qu'il aurait pu obtenir sans trop d'efforts, la main de femmes plus jolies qu'elle ?

Elle réfléchit un instant et ses joues s'empourprèrent d'embarras quand elle se rappela qu'elle avait cédé son cœur à la seule personne qui ne s'était guère acharnée à lui faire la cour. Il lui avait simplement demandé de devenir sa femme en lui promettant sa liberté et elle avait accepté. Narcisse ne s'était pas embarrassé à chercher de belles tournures de phrases pour la flatter. Il avait été concis. Sinistrement indifférent. Il lui avait ouvert un gouffre dans lequel se jeter et elle s'y était précipitée.

La jeune femme devait changer le cours des choses, quitter l'ombre dans laquelle elle se tenait et agir. Elle ressentait un terrible sentiment d'injustice face au sort qu'il lui avait réservé. Ça ne pouvait plus durer.

Olivia avait déposé son cœur en offrande dans la paume tendue de Narcisse. Il l'avait laissé tomber au sol, comme on abandonne sans trop d'états d'âme, les bouquets de fleurs fanés que nous offrent les enfants.

Elle devait lui montrer qu'il avait tort.

Ce soir, Olivia était déterminée à conquérir son mari.

NARCISSE (ÉDITÉ !) ( ROMANCE HISTORIQUE SLOW BURN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant