Chapitre 6

7.7K 370 26
                                    

Les jours passent. Les semaines. Je ne suis plus qu’un fantôme. Je vais en cours, sans être vraiment là pour autant. J’ai laissé ma joie de vivre disparaître au moment où j’ai laissé partir M. Stevan. Foutu prof que je suis obligée de voir six heures par semaine. Chaque fois, c’est un déchirement. Je ne comprends pas ce qui a pu se passer, pourquoi je l’aime autant. Cela n’aurait pas dû se passer ainsi.

Il a cessé de me parler, lui aussi. Il ne m’interroge plus en cours, ne me fait pas rester à la fin de l’heure pour me parler. Je pensais que mes notes s’en ressentiraient, mais non. J’ai eu 13 à l’unique contrôle que nous avons fait dans sa matière. De toute façon, je me fiche de mes notes. Je tente de ne pas l’observer quand nous sommes en cours. C’est horriblement dur.

Il rigole souvent avec Sarah, l’autre élève qui le trouvait super mignon. Cela me met les nerfs à vif quand je la vois la taquiner, ou parler en dehors des cours. J’ai une véritable haine pour cette fille, mais je dois assumer. J’ai voulu m’éloigner de lui ; à moi d’assumer les conséquences. Il s’est trompé une fois, quand il a voulu lui dire de se taire en souriant. Il l’a appelée Joy. J’ai levé les yeux vers lui, mais il ne m’a pas regardé et s’est excusée auprès d’elle de ce lapsus. Peut-être sort-il avec Mme Landsmann, je n’en sais rien. Je les croise de temps en temps, un café à la main et discutant ensemble. Se souriant. Riant, parfois.

La boule qui pèse dans mon estomac se fait de plus en plus lourde à chaque seconde. J’étouffe, mais c’est ainsi. Je ne souhaite même pas à mon pire ennemi de connaître cette souffrance. Je regarde les gens passer, la vie défiler, sans comprendre ce que je fais là. Je me sens juste vide. Il n’y a plus de véritable intérêt à cette vie.

Alex et Céline voient que je ne vais pas vraiment bien, mais je ne peux rien leur dire. Plusieurs fois, j’ai failli m’effondrer et me mettre à pleurer devant eux, mais jusque-là, je suis toujours parvenue à conserver ma dignité et le faux sourire qui est désormais le mien. Je n’ai pas envie qu’ils découvrent ma faiblesse.

***

« Tout va bien ? »

Nous sommes en mathématiques. Alex vient de m’envoyer un mot sur ma table, que j’ai déplié. Son attention me touche, mais que puis-je répondre ? Je me retourne. Il est dans le rang derrière le mien, un peu sur la droite. Il me regarde et je lui souris en hochant la tête, mentant une fois de plus. Malheureusement, le prof de maths le voit.

- Joy, aurais-tu l’obligeance de nous expliquer ce qui te vaut ce sourire ? Je doute que les fonctions t’apportent autant de joie au vu de tes notes lamentables, alors de quoi s’agit-il ?

Je ne réponds pas. Cela fait des semaines qu’il cherche à me provoquer, et que je réussis à garder le silence. Ce serait bête de tout gâcher maintenant.

- J’attends une réponse, mademoiselle Carmaux.

Ah, il va sans doute commencer à me vouvoyer. Plus il me déteste, plus il me vouvoie. Etrange habitude mais bon. Je ne réponds toujours pas, même si je sais qu’il va prendre cela pour de l’insolence.

- Alors ? insiste-t-il.

Je hausse les épaules. J’ai encore le droit de sourire, non ? Même si c’est un faux sourire, et qu’en réalité, j’ai juste envie de disparaître. Peut-être va-t-il enfin passer à autre chose, plutôt que de s’acharner sur moi. Espoir vain.

- Vous ne voulez pas répondre ? Très bien. Je vais donc faire mes propres hypothèses. Ce sont vos résultats désastreux qui vous font sourire ? Vos capacités mathématiques totalement absentes ? Ou encore votre rôle de gamine qui s’en fiche de tout, pauvre victime ?
- Je ne vous permets pas.
- Eh bien moi, je me permets, Mademoiselle Carmaux. Alors, ai-je raison ?

Je le regarde, et voit une haine dans ses yeux que je ne comprends pas. Qu’ai-je fait ? D’accord, je n’ai pas la moyenne en maths, mais est-ce une raison pour me ridiculiser ainsi ? Je ne parle pas durant les cours, et ai même augmenté ma moyenne comparé à l’an dernier. Il me fixe, mais je ne baisse pas les yeux. Pourquoi devrais-je le faire ? Il vient de m’insulter implicitement, alors que je n’avais absolument rien fait.

- Je prends ce silence pour une approbation. Mais ne vous méprenez pas, je sais ce que vous pensez, mademoiselle.
- Non, vous ne savez pas.

Je tente de contenir ma rage, mais je bouillonne intérieurement.

- Oh que si. Vous vous croyez supérieure, mademoiselle, n’est-ce-pas ? Vous imaginez que votre petit numéro va vous valoir le respect de vos camarades ? Pathétique.
- Je me fiche du respect, je n’en ai même pas pour vous.

La phrase est sortie toute seule, sans que je puisse l’en empêcher. Le rictus du prof s’étire en un petit sourire victorieux.

- Dehors, mademoiselle Carmaux. Sortez immédiatement.
- Avec plaisir.

Je prends mes affaires, les fourre dans mon sac et me lève.

- J’en parlerai à votre prof principal, ajoute-t-il.

Je m’arrête. J’ai déjà des relations assez compliquées avec M. Stevan, mais visiblement, cela va empirer. Le prof doit s’apercevoir de mon hésitation, car son sourire s’élargit tandis qu’il me demande, d’un ton narquois :

- Un problème ?
- Aucun.
- Parfait. Dans ce cas, je vous envoie chez lui à l’instant même.

Il commence à rédiger un mot, et mon cœur se met à battre plus vite. Je n’ai absolument aucune envie d’aller voir M. Stevan maintenant. J’ai tellement peur de me retrouver face à lui… Le prof de maths m’interrompt dans mes pensées :

- Vous passerez le voir à midi dans la salle 105, où il a actuellement cours. En attendant, vous attendrez chez le CPE.

Je me dirige vers la porte avec le mot, et croise le regard désolé d’Alex. Ce n’est pas de sa faute, il n’a pas à s’en vouloir. Je lui souris très légèrement et sors. J’entends le prof de maths lancer un :

- Au revoir, mademoiselle Carmaux, et au plaisir !
- Ouais, c’est ça.

Evidemment, le CPE m’engueule, mais je m’y attendais. Et il faut dire clairement que je m’en fiche. Qu’est-ce qu’une engueulade face à la perspective d’une confrontation avec mon prof principal ? Les vingt minutes qui me séparent du rendez-vous tant appréhendé passent lentement, sous les reproches du CPE, qui m’avertit qu’il ne me collera pas pour l’instant, mais qu’il laisse ce choix à M. Stevan. Génial.

A 11h58, je m’en vais en salle 105, et attends devant la porte. La cloche sonne, et des élèves de Première commencent à sortir. Je tente d’inspirer profondément, et une fois la salle vide, toque puis rentre. Le prof se retourne, m’aperçoit, et une drôle d’expression passe sur son visage.

- Joy ?
- J’ai été envoyée par le prof de maths. Il m’a virée et voulait que je vienne vous voir.

Il est tellement beau… Le poids dans mon estomac s’alourdit un peu plus alors que je croise son regard, chose qui n’est pas arrivée depuis des semaines. Je referme la porte derrière moi, et vais m’asseoir en face de lui.

- Que s’est-il passé ? me demande-t-il.
- J’ai osé me retourner pour sourire à Alex, et le prof m’a demandé ce qui me valait ce sourire. Je ne lui ai pas répondu, et il a commencé à s’énerver.
- Que-t-a-t-il dit ?

Je lui répète mot pour mot les paroles du prof. M. Stevan hausse les sourcils.

- Une gamine qui se fiche de tout, se sent supérieure et veut juste avoir le respect de ses camarades ?
- Il paraît.
- Eh ben…
- Je sais, je n’aurais pas dû réagir mais…
- Mais on l’aurait tous fait. Je suis censée te mettre en retenue pour ça, tu le sais.
- Oui.

Curieusement, il ne semble pas trop énervé.

- Je ne vais pas le faire.
- Pourquoi ?

La question est sortie toute seule. J’aurais dû me contenter de le remercier, d’acquiescer ou je-ne-sais-quoi. Mais je ne comprends pas.

- Parce que c’est ridicule et que je n’ai aucune envie de te coller, voilà tout. Je ne sais pas ce que tu as en ce moment, Joy, mais ça ne va pas et je l’ai vu. Et ta réaction en maths le prouve.
- Il n’y a rien.
- Nous avons déjà eu cette conversation.

Il rapproche une chaise et vient s’asseoir juste à côté de moi. Son genou n’est qu’à deux centimètres du mien. J’ai envie de pleurer de la savoir aussi proche alors que pourtant, tout nous sépare. Malheureusement.

- Ca me manque, de ne plus parler avec toi, me dit-il.

Je le regarde, incapable de dire quoique ce soit. Il paraît sincère, et son regard est d’une telle profondeur que je m’y perds et que je suis incapable de respirer.

- Je regrette tout ce qu’il s’est passé, Joy. Vraiment.
- Ca me manque aussi. Mais…
- Mais je suis ton prof. Je sais.

Je hoche la tête, les larmes aux yeux. Si seulement…

- C’est dommage, murmure-t-il.
- Oui. Vraiment dommage.
- Est-ce que c’est pour ça que tu es triste en ce moment ?

Je me mords la lèvre. Dois-je lui dire ? Ou faut-il plutôt continuer à mentir ? Je ne me sens plus capable. Je voudrais juste qu’il sache qu’il me manque terriblement. Et que je l’aime. A mourir. J’acquiesce, et il soupire.

- Ecoute… Je n’aime pas te voir comme ça.
- Désolée.
- Non, ce n’est pas ce que je voulais dire… Mais on est véritablement obligés d’agir comme ça ?
- Comme quoi ?
- Tu sais, s’éviter mutuellement, ne plus se parler, etc.
- ... Je peux pas faire autrement.
- Pourquoi ?

Pourquoi ? Parce que je l’aime, parce que je voudrais juste qu’il soit à moi, parce que je voudrais être avec lui. Est-ce si difficile à comprendre ? Si nous n’étions qu’amis, il n’y aurait pas de problème, mais là… Je ne pourrais pas faire semblant. Je ne peux pas faire semblant. Je baisse la tête.

- Qu’est-ce qui se passe, Joy ? Laisse-moi t’aider…chuchote-t-il.

J’essaye désespérément de ne pas m’effondrer, mais en vain. Les larmes se mettent à couler sans que je ne puisse les arrêter. Je les essuie d’un geste rageur, mais elles affluent, de plus en plus nombreuses. Je me sens ridicule, à pleurer devant mon prof parce que je suis amoureuse de celui-ci et que ça me bouffe de l’intérieur.

Tout à coup, je sens un bras sur mon épaule, et M. Stevan m’attire à lui, contre son épaule. Je sanglote encore plus. Il veut seulement m’aider, et pourtant, être comme ça avec lui est un moment dont j’ai rêvé depuis si longtemps…

- Joy, regarde-moi.

Je me mords les lèvres jusqu’au sang, mais les larmes ne cessent pas de couler. Je continue à regarder le sol, incapable de lever la tête M. Stevan. Mais celui-ci me prend le menton et le tourne vers lui.

- Ca va aller, d’accord ? Ca va aller.

Je hoche la tête, en ayant conscience d’être peu convaincante.

- Désolé, dis-je dans un murmure.
- C’est pas grave.

Je prends conscience de notre position, un de ses bras autour de mon épaule, tandis qu’il a toujours son autre main sur ma joue. C’est mon prof, nous ne sommes pas censés être assis comme ça, l’un à côté de l’autre, si proches… Il ne me quitte pas des yeux, mais aucun de nous ne parle. Nous restons ainsi plusieurs secondes, aucun ne semblant capable de briser la magie de l’instant. Je pourrais l’embrasser, si je le voulais. Mais il ne faut pas… Je ne dois pas céder à la tentation. Je me recule brusquement, et M. Stevan semble blessé.

- Excuse-moi, je voulais juste…
- Oui, je sais, ne vous inquiétez pas. Mais je dois y aller, Alex et Céline m’attendent pour aller à la cantine.
- Ah…

Une certaine tension règne, et je m’essuie les yeux pour éviter que de nouvelles larmes ne se remettent à couler. J’aimerais rester, mais j’ai peur. Je sais que je le regarde un peu plus longtemps, je vais l’embrasser, ou faire une connerie du genre. Et il ne faut pas.

- Attends, me lance-t-il. Je…
- J’ai pas le temps, je suis vraiment désolée.

Je prends mon sac et commence à reculer vers la porte. M. Stevan a l’air ébranlé, mais que puis-je dire ? Que puis-je faire ? Il ne voulait que m’aider, et moi j’en ai profité… Que doit-il penser de moi maintenant ? Il a dû comprendre ce que je ressentais, et veut me le faire avouer. Il faut que je parte, mais le prof insiste encore.

- Ecoute, je ne sais pas ce…
- Je suis désolée, je…
- Mais attends ! Qu’est-ce qui se passe Joy ? Je suis perdu, là !
- Rien, je suis juste fatiguée et le prof de maths m’a mis le moral à zéro. Merci d’avoir été là mais…
- Mais ? Pars pas comme ça. Tu vas te remettre à m’éviter sinon, et…
- Et ça serait mieux je pense.

Il s’approche de moi, et je recule par réflexe, collée à la porte de la salle.

- Non, ça ne sera pas mieux. Je ne peux pas faire comme si rien ne s’était passé, comme si tu n’avais pas pleuré comme ça.
- C’était idiot. Pardon.
- Arrête de t’excuser. Je veux t’aider Joy, mais laisse-moi le faire.

Je soupire, et ouvre la porte de la salle.

- Vous ne pouvez rien faire, dis-je en sortant. Je suis vraiment désolée.

Déchirure -Relation prof-élève-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant