Chapitre 8

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Le lendemain, je prétexte être malade, pour ne pas revoir M. Stevan avant lundi. En voyant mes yeux rouges, mon teint pâle et mon air épuisé, mes parents n’ont pas insisté et m’ont crue. J’ai passé le week-end complet allongée sur mon lit à regarder le plafond, me ressassant la conversation que j’avais eue avec mon prof. J’ai tenté de regarder un film pour me changer les idées, mais je le voyais dans chaque personnage. En voulant écouter de la musique, chaque parole me rappelait notre histoire. Dans les livres, c’était son visage que je voyais à la place des mots. Je l’ai dans la peau et ce n’est pas près de partir.

Les regrets m’étouffent. Je n’aurais jamais dû… C’était idiot de penser qu’il allait me dire qu’il m’aimait. Il a juste tenté de s’en sortir par une pirouette. Je me suis répétée sa phrase des dizaines de fois.

« Je ne l’aime pas plus que toi, Joy. Au contraire. »

Au contraire ? Je n’ai pas compris ses mots. Sans doute a-t-il voulu dire que j’étais son élève préférée... Mais je m’en fiche presque de ça, je voudrais qu’il soit à moi. Est-ce si dur à comprendre ? Mais cela reste mon prof, et jamais il ne se passera quoique ce soit entre nous. J’aurais dû arrêter de rêver dès le début, mais je n’y suis pas arrivée.

Le dimanche soir, je suis incapable de dormir. Le stress de l’avoir le lendemain me tue petit à petit, et lorsque le réveil sonne à 6h du matin, je n’ai pas dormi plus d’une heure dans la nuit. J’ai passé la nuit à actualiser mes messages sur mon téléphone, mais il ne m’a rien envoyé. Ma tête fait peur à voir, avec mes cernes et mes yeux gonflés. J’essaye toutefois de me rendre présentable. Toujours ces mêmes espoirs pourris. « Si je suis assez jolie, peut-être qu’il s’intéressera à moi. » Mais non, il ne s’intéressera pas à moi. Au mieux, il doit se foutre de moi actuellement, c’est génial.

Je n’ai cours avec lui qu’à 15h30, et la journée passe à la fois horriblement lentement car je suis écrasée par la nervosité, mais aussi bien trop vite car je n’ai aucune envie de l’affronter… Céline et Alex n’ont pas cessé de me demander ce qui n’allait pas, et pourquoi je n’ai pas répondu à leurs sms ce week-end. Comment dire ? J’étais trop occupée à avoir envie de mourir pour ça. Je finis par leur avouer ma conversation avec M. Stevan, et ils restent choqués durant plusieurs secondes.

- Ca va aller, me dit Céline, il a plutôt bien réagi, et y’a aucune raison que ça se passe mal maintenant…
- Aucune raison, à part qu’il se foute de moi parce que je suis une de ces gamines qui fantasme sur lui. Mais à part ça, tout va bien.

Alex reste songeur.

- Moi, c’est sa réponse qui m’intrigue… Si ça se trouve, il a voulu te dire qu’il t’aimait non ?
- Arrête Alex, s’il te plaît. J’en ai assez d’imaginer des scénarios qui ne se réaliseront jamais, faut que ça cesse.

La conversation se finit là, et à 15h30, nous nous dirigeons tous ensemble vers la classe. En arrivant devant la salle, la peur s’infiltre en moi au point de me paralyser. Je suis incapable de bouger. Céline se tourne vers moi :

- Ca va ?
- Je… Ouais. Allez-y, j’arrive dans deux secondes.
- Non, on t’attend. Commence pas à vouloir t’enfuir.

Pendant deux minutes, je reste là, à regarder le sol en essayant de me calmer. Je n’ai pas le choix, de toute façon. Il va bien falloir que j’aille l’affronter. Alex me prend par le poignet pour me forcer à bouger.

- Courage, tu vas y arriver. Allez, viens.

Je hoche la tête et nous rentrons tous ensemble. J’essaye désespérément de me cacher derrière Alex qui ne m’a pas lâchée, mais je sens le regard du prof posé sur moi et je rougis. J’aimerais juste qu’il cesse de m’observer et qu’il m’oublie.

- Bonjour tout le monde, dit-il d’un ton froid et sans sourire. J’espère que votre week-end s’est bien passé et que vous en avez bien profité parce que la semaine va être chargée. Je vous rappelle, au cas où certains auraient oublié, que vous avez un contrôle jeudi.

Beaucoup soupirent mais je ne lève pas la tête. Je me fiche totalement de son contrôle. Il n’a qu’à me mettre 5 s’il veut, ça ne me fait ni chaud ni froid. Je veux juste qu’il oublie tout ce que je lui ai dit, et qu’il me considère comme une élève normale. Au bout de quelques secondes, je finis par poser la tête sur la table, entre mes bras croisés, et ferme les yeux.

Je n’entends plus que la voix de M. Stevan. Cette voix tellement douce qui me fait frissonner… J’aimerais l’entendre jusqu’à la fin de ma vie. Soudain, il y a un silence et Alex me donne un coup de coude dans les côtes. Je relève difficilement la tête, et vois M. Stevan me fixer sans un mot. Après de longues secondes où nous nous regardons face à face, il se détourne et s’éclaircit la gorge.

- Hum, bref. Qu’est-ce que je disais au fait ?

Un de mes camarades le lui rappelle, et le prof continue son cours. Je me tourne vers Alex.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
- Ben je sais pas, il était en train de parler de la mondialisation et il t’a vue en train de dormir… Ca a pas dû lui plaire parce qu’il s’est arrêté net dans son cours jusqu’à ce que tu te relèves la tête…
- Mais qu’il me laisse tranquille, je lui demande pas grand-chose !
- Je sais…

Je me tiens donc droite jusqu’à la fin de l’heure, mais je n’ose pour autant pas regarder M. Stevan. En revanche, je vois plusieurs du coin de l’œil son regard posé sur moi pendant un long moment, mais je ne réagis pas. La cloche finit enfin par sonner au bout d’une heure de torture, et je commence à me précipiter dehors, mais une voix m’appelle. Une voix que je reconnaîtrai entre toutes.
M. Stevan.

- Joy, attends s’il te plaît, nous n’avons pas fini notre conversation à propos de… Du contrôle que tu avais peur de rater, jeudi.

Je frémis et commence à paniquer. Autour de moi, les élèves sortent peu à peu et je ne veux pas rester seule avec lui.

- Ne vous inquiétez pas, finis-je par répondre, ça va mieux. J’ai dû avoir peur jeudi, mais oubliez tout ça.

Il me regarde, et je vois dans ses yeux qu’il a compris le sous-entendu que j’ai glissé. Il a l’air blessé mais n’abandonne pas pour autant.

- Je pense que non. Je crois que tu es en train d’esquiver le sujet parce que tu as peur de… D’avoir une mauvaise note. Mais elle peut être bien meilleure que ce que tu imagines maintenant.

Je reste paralysée tandis que Céline et Alex passent derrière moi.

- Bon courage, me chuchote celui-ci. Ca se passera bien, j’en suis sûre.

Je me tourne vers lui, mais il est déjà parti, et j’aperçois Céline qui me fait un grand sourire en levant le pouce. Qu’imaginent-ils ? Ca ne peut pas bien se passer. Même dans le cas où le prof serait adorable, il ne cachera pas sa pitié pour moi. Et je refuse qu’il ait pitié de moi. Je pourrais encore sortir, le fuir, comme toujours. Mais je ne veux pas continuer à me sentir aussi faible, telle un biche traquée par un chasseur. Je dois aller l’affronter. Pour de bon.

Les autres ne me prêtent pas attention tandis qu’ils sortent de la salle. Seule Sarah me jette un long regard que je ne parviens pas déchiffrer, mais elle quitte également la salle après m’avoir bousculée avec son sac à main. Charmante, cette fille. M. Stevan l’observe jusqu’à ce qu’elle ait disparu au bout du couloir, vérifiant qu’elle soit réellement loin cette fois. Il se tourne alors vers moi et ferme la porte derrière lui.

Quand j’étais petite, nous jouions souvent au ballon prisonnier. Je perdais souvent car lorsque j’avais le ballon, je ne parvenais pas à savoir sur qui le lancer. J’avais alors l’air d’une pauvre et frêle victime. Mon institutrice ne cessait de me dire « Attaque en première, c’est ta meilleure défense. », mais j’en étais incapable.

Aujourd’hui, il faut que j’y arrive.

Avant même que M. Stevan ait pu ouvrir la bouche, je commence à parler, tellement vite que c’en est presque incompréhensible.

- Ecoutez, je suis vraiment désolée pour jeudi. J’ai, je, euh, j’étais jalouse de Sarah, c’est vrai, mais c’est parce que vous êtes un super prof, rien de plus. Je suis comme tout le monde, j’ai envie d’être aimée et j’ai cru que comme elle était là, vous…
- Joy.

Un mot. Un simple mot. Mon prénom. Cela a suffi à me faire taire. M. Stevan me regarde comme on ne m’a jamais regardée avant. Il a un regard si profond que je me perds dedans. C’est comme lorsque l’on vous parle de la drogue en disant qu’une fois qu’on tombe dedans, on n’en sort plus. C’est exactement la même chose. Une fois qu’on se plonge dans ses merveilleux yeux gris bleus, on est incapable de s’en sortir. Je ne sais pas comment je trouve la force de murmure un « Oui ? » alors que j’ai le cœur qui saigne un peu plus à chaque seconde où il est devant moi.

- J’ai voulu te parler vendredi, mais tu n’étais pas là, me dit-il d’une voix très calme.
- J’étais malade.
- Vraiment ?
- D’une certaine façon, oui.

Il hoche la tête en soupirant, puis reprend :

- Je crois surtout que tu as eu peur de venir en cours après notre discussion de mercredi, je me trompe ?

Il a ce pouvoir sur moi qui fait que je ne parviens pas à lui mentir. J’aimerais le faire, mais je suis de toute façon incapable de parler. Je me contente de hocher la tête de gauche à droite. Non, il ne se trompe pas.

- Tu ne dois pas avoir peur, Joy. Tu ne dois surtout pas avoir peur.

Pas avoir peur ? Sérieusement ? Comment peut-il dire ça, de cette voix aussi calme ? J’aurais préféré qu’il s’énerve. Là, je ne sais pas ce qu’il pense et ça me terrifie. Ma capacité à parler me revient d’un coup, et je laisse éclater tout ce que je retiens depuis trop longtemps.

- Je ne dois pas avoir peur ? Parce que vous croyez que c’est facile, vous ? Non, vous, vous êtes là à sortir des mots vides de sens, sans vraiment vous préoccuper une seule seconde de ce que je peux ressentir… Vous faites semblant de comprendre, mais vous ne comprenez pas. Vous êtes juste ce prof qui sait qu’il plaît aux élèves, qui sait qu’il me plaît, et que ça amuse…

Je reprends ma respiration, mais ne le laisse pas intervenir.

- Je ne dis pas que ça doit être facile d’être à votre place, car ça ne l’est sûrement pas. Pour autant, c’est toujours plus simple que d’être à la mienne. Je ne veux pas de votre pitié Monsieur, je ne veux pas de vos conseils parce que vous ne pouvez pas comprendre. Personne ne peut comprendre, et ça fait mal…

Ma voix se brise sur les derniers mots. Je ne sais pas pourquoi je me suis énervée contre lui… Sans doute parce que c’est à cause de lui que je souffre en ce moment. Il reste impassible, presque serein, et ce calme face à ma rage actuelle ne m’aide pas à me détendre. J’inspire profondément et le regarde en haussant les sourcils, comme pour le provoquer. En vain. Il soutient mon regard et me répond, presque à voix basse :

- Oh si, je te comprends. Tu crois vraiment être la seule qui subit ça, de ne pas pouvoir être avec la personne que tu aimes ?

Mais pourquoi me parle-t-il de ça ? Je me fiche de ses histoires d’amour, je ne veux pas en entendre un seul mot. Je veux juste qu’il oublie tout, qu’il me laisse tranquille et que j’arrête d’avoir ce poids dans l’estomac quand il me regarde. Je n’en peux plus.

- Je ne suis peut-être pas la seule, mais je m’en fous totalement… Ca ne m’intéresse pas, vos histoires, ça ne m’intéresse pas du tout.

Son regard change et il a une sorte de sourire un peu triste.

- Quand est-ce que tu comprendras ?
- Que je comprendrai quoi ? rétorqué-je avec hargne.

Il s’approche de moi, jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres. Je sens son délicieux parfum et perds à nouveau mes moyens, tandis qu’il se penche vers moi et murmure à mon oreille.

- Que c’est toi dont je parle.

Que… Que… Je ne comprends plus. J’ai le cerveau qui ne réagit plus, troublé par la proximité de M. Stevan.

- Que c’est… Que c’est moi ? réussis-je à murmurer.
- C’est toi que j’aime, Joy. Depuis le début. Depuis ces premiers jours de cours où tu as arrivée avec ton merveilleux sourire. C’est toi, ça a toujours été toi.

Et là, il m’embrasse de ses lèvres merveilleusement douces. Je n’arrive pas à y croire. C’est le meilleur baiser de toute ma vie. Il m’attrape par la taille pour me rapprocher de lui et je me serre contre son torse musclé, mes mains dans ses cheveux. Sa barbe de trois jours érafler mes joues, mais ça n’a rien de désagréable. Plus jamais je ne veux quitter ses bras. Je goûte cette langue qui joue avec la mienne avec un pur bonheur, profitant de ce moment car je sais qu’il ne durera pas.

Et effectivement, au bout de quelques trop courts instants, il recule légèrement mais ne me lâche pas pour autant. Son magnifique sourire ne l’a pas quitté.

- On n’aurait pas dû, me dit-il pourtant.
- Je sais, c’est… C’est interdit, mais…
- Mais je suis amoureux de toi, Joy.

Je lui souris à mon tour. Je n’ai jamais été aussi heureuse de toute ma vie. Je vis dans un rêve et je n’ai aucune envie de me réveiller… J’ai envie de lui dire que je l’aime aussi, mais soudain je m’aperçois que je ne sais absolument pas comment faire. Il doit s’en apercevoir car il rigole et me dit :

- Tu peux me tutoyer tu sais.
- Tant mieux, parce que je v… je t’aime aussi.

Nous restons ainsi en silence pendant plusieurs secondes, à nous sourire, toujours collés l’un à l’autre. Finalement, il prend la parole :

- Tu sais qu’on va devoir se cacher ?
- Je m’en fiche.
- Très bien alors, parce que moi aussi.

Et il m’embrasse une nouvelle fois. Cette fois, c’est moi qui finis par l’arrêter.

- Pourquoi tu ne m’as rien dit, jeudi, quand je t’ai tout avoué ?
- J’ai voulu, mais tu ne m’en as pas laissé le temps. Je me sentais horrible de penser à toi comme ça alors que je ne suis censé être que ton prof, j’ai cru que tu l’avais deviné quand tu as voulu qu’on s’éloigne…
- Non, pas du tout, c’était plutôt le contraire…
- Je ne savais pas. Et tu paraissais tellement proche d’Alex que j’ai imaginé que… J’ai été idiot, désolé. Alors quand tu m’as dit ça, jeudi, ça m’a tellement pris par surprise que je ne savais pas quoi répondre.
- Tu aurais pu m’envoyer un message…

Il soupire et me caresse la joue.

- Je sais. Mais je me disais qu’il ne fallait pas, que tu étais mon élève, que j’étais trop vieux pour toi et que je ne pouvais pas me permettre ça… Mais quand je t’ai vue tout à l’heure, la tête sur la table avec un air si triste sur ton visage, je n’ai pas pu supporter de te voir comme ça et de te mentir, de me mentir plus longtemps. Je t’aime et je voulais te le dire.

Je hoche la tête et me mords la lèvre inférieure. Il m’aime ! Il est amoureux de moi. Je me serre un peu plus contre lui et murmure :

- Je me fiche que tu sois mon prof, que tu sois trop vieux pour moi, etc. Peu importe. Je veux juste être avec toi.

Il hoche la tête et m’enlace un peu plus fort, tandis que je lève la tête vers lui pour lui lancer :

- Et puis ça tombe bien, j’avais besoin de cours particuliers pour le contrôle !

Il rit et cette fois, c’est moi qui l’embrasse avec un sentiment de bonheur tellement fort que je ne sais pas comment on peut vivre en ressentant quelque chose d’aussi puissant. C’est magique. Je n’ai pas assez de mots pour décrire cette sensation, mais une chose est certaine : plus jamais je ne serai la même.

Comme pour confirmer cela, il m’embrasse dans le cou et me chuchote :

- Je ne veux plus jamais te quitter. Je t’aime. J’aime tout de toi. Ton rire, tes larmes, tes yeux, ta jalousie, … Je t’aime telle que tu es.

On dit que l’amour est une connerie, qu’il ne faut pas s’attacher, et j’ai été longtemps d’accord avec ça. L’amour, ça fait mal, mais quand il est partagé, c’est la chose la plus merveilleuse du monde. Ca vous donne des ailes, ça peut vous faire soulever des montagnes, ça vous rend meilleur que vous n’étiez.

L’amour, c’est vivre au milieu des étoiles après avoir décroché la lune.

Et mon amour, c’est lui.
Lui qui m’aime aussi.

Déchirure -Relation prof-élève-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant