Chapitre 26 : Shakespeare

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1755 au Portugal

Ragnor était grognon, comme toujours lorsque le soleil se couchait. Assis sur un trône en bois qu'il avait acheté à un marchand hollandais, le sorcier anglais lisait un livre d'un nouvel auteur anglais.

« C'est bidon. »

Catarina qui était attelée à faire une potion ne répondit même plus, elle avait l'habitude des chamailleries entre ces deux compagnons.

« Bidon ? C'est une histoire d'amour, ça ne peut pas être bidon ! »

Magnus qui était avachi dans un tas de coussin coloré, il ressemblait à un maharajah dans une telle position, s'offusqua de la critique de son ami vert.

« Oui, il veut nous faire croire qu'une simple attirance physique peut prendre la forme d'un amour grandiloquent ! »

Ragnor déposa le livre sans cérémonie au sol et tendit la main pour se saisir de sa tasse de thé.

Tasse de thé que fit disparaître Magnus par vengeance.

« Magnus Bane, mon thé ! »

L'indonésien eut un joyeux sourire, et le fit réapparaître dans sa main.

« Je te prie de dire que ce livre était incroyable. »

Catarina retint son rire dans le coin de la pièce, ces deux-là étaient insupportables. Ragnor grimaça de dégoût et claque des doigts pour faire apparaître une nouvelle tasse.

« De la maison de Buckingham, j'adore. »

Il sirota lentement son breuvage pendant que Magnus, qui le fusillait du regard, boudait en buvant son thé. Ragnor tenta d'ignorer à plusieurs reprises le regard bien trop persistant de son ami sorcier. Il avait soixante-dix ans de plus que Magnus et la patience qu'il fallait pour résister.

« Tu sais bien que faire les yeux de chiots ne fonctionne jamais avec lui. » Dit Catarina qui sans les observer savait exactement à quoi s'attendre.

« Il est sans cœur. » Répondit Magnus en soupirant telle la diva qu'il pouvait être.

« Cette histoire était aussi écœurante que celle que tu as avec ce garçon. » Déclara Ragnor en retirant les poussières de sa veste jaune poussin.

Magnus prit un air outré et provoqua avec plaisir son ami : « Parce que c'est un homme ? »

Ragnor ne vivait que des aventures amoureuses sans lendemain, il ne s'encombrait que rarement des sentiments, il était ermite dans l'âme. Le flirt lui convenait le temps d'une soirée. Jamais il n'avait osé juger ses nouveaux amis malgré toutes ses réflexions critiques.

« Non, parce que ses oreilles sont disproportionnées ! »

Magnus fit la grimace, Pedro n'était pas le plus bel homme, mais il était gentil et serviable malgré sa nature de génie.

« Les oreilles ont très peu d'importance quand sa bouche s'occupe de... »

« Magnus ! » S'écria Catarina le faisant rire. Elle avait quatre-vingts ans pourtant elle était encore habituée à la candeur biblique de sa mère décédée.

« Je parlais de baiser Catarina, rien de moins chaste voyons. »

Elle lui fit un regard en biais et retourna à ses potions. Ragnor qui gardait pour lui son amusement, se leva et récita les vers de Pâris, personnage de la pièce : 

« Ces temps de malheur ne permettent pas de courtiser. ».

Magnus laissa un temps de silence, les vers flottaient dans l'air. Il les rouvrit, se remémorant la plainte de l'amoureux. 

« Ô amour bagarreur, ô amour haineux,

Ô rien de rien d'abord créer!

Ô légèreté lourde, vanité sérieuse,

chaos manquant de formes bien apparentes,

plume de plomb, fumée brillante, feu froid, santé malade,

sommeil éveillé, ce n'est pas ce que c'est ! »

Magnus récita les vers de Roméo et envoya un baiser à son cher sorcier verdâtre, celui-ci l'ignora superbement. Il avait menti, jamais il ne pourrait critiquer Shakespeare.

« Demain nous devrions sortir sur Lisbonne. »

Ragnor ferma les yeux, le soleil était parti, le son de la ville s'apaisait, le clocher de l'Eglise Sainte Maria berça son esprit. Il aimait le tintement des cloches ecclésiastique.

« Quel trésor quêtes-tu mon ami ? »

Magnus se leva de ses coussins confortables et s'approcha de Catarina, il lui tendit un flacon de verre et fit glisser son index le long des écritures d'un vieux livre de magie. Son regard dans le vide fit frissonner Catarina, Magnus avait le sourire facile, un sujet trop sérieux devait l'inquiéter.

« Mon père semble me vouloir dans la ville. »

Le flacon tomba au sol et Magnus reçut un coup de chiffon de la part de son amie espagnole.

« Tonto ! » Jura-t-elle dans sa langue maternelle « Tu as failli mourir en l'invoquant. Ce démon, il te veut pour ta puissance. Il s'en fiche bien qu'il soit ton père. »

Elle pesta en essuyant le sol de sa concoction : « Los demonios no sienten amor. » 

Magnus claqua des doigts, réparant la fiole et lui tendit la potion dans son état original.

« J'ai besoin de savoir ce qu'il trame. »

Catarina n'était pas très tactile, les câlins n'avaient été que pour sa mère. Cependant elle tendit la main et toucha le visage de Magnus avec précaution.

« C'est une mauvaise idée. »

Sachant qu'elle ne pourrait jamais le convaincre, elle prit la potion et partit sur la terrasse rejoindre Ragnor. L'anglais ne dit rien et se contenta de rester face au soleil. Il savait que rien n'arrêterait la curiosité de son ami.

« Tu es immortel, pas un invincible. » Soupira-t-il simplement.

Magnus hocha la tête et ferma les yeux encore une fois. Il pouvait sentir la terre trembler sous ses pieds. Lisbonne l'appelait.


L'éternité ne permet pas d'oublier la perte d'un être cher, cela devient juste supportable.




Merci,

Pour oser demander une suite,

Pour m'encourager à écrire,

Ce chapitre, je lui dois. 

L'ÉternitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant