Chapitre 4 : Didier Deschamps

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Le coach de l'équipe de France s'était levé d'un bond lorsqu'un cri assourdissant se fit entendre dans la villa. Il s'était élancé hors de son bureau et courrait à présent dans les labyrinthiques couloirs de la résidence sans prendre la peine de s'adresser aux membres du staff qu'il croisait sur son chemin et qui semblaient aussi confus que lui. Quand l'entraîneur atteignit le réfectoire, celui-ci avait déjà été investi par l'équipe médicale qui s'était attroupée autour d'une personne à terre que Didier ne parvenait pas encore à distinguer. Néanmoins, il lui suffit d'observer tour à tour les visages effondrés d'Antoine et d'Olivier pour comprendre : cela ne pouvait qu'être Julia. Conservant son sang-froid légendaire, le coach s'adressa posément à ses troupes :

« Bon, je vois qu'un incident est arrivé, mais cela ne sert à rien que vous restiez tous là pendant que les infirmiers font leur boulot. Donc allez vous entraîner, Julia est entre de bonnes mains. Par contre Antoine, Olivier, Hugo, dans mon bureau tout de suite. »

Le champion du monde de 98 avait préféré retirer le numéro 9 et le numéro 7 de l'entraînement puisqu'ils étaient manifestement trop bouleversés pour faire quoi que ce soit de productif. Quant au numéro 1, il attendait de ce dernier, en sa qualité de capitaine, une narration détaillée et objective des événements. Didier Deschamps était bien sûr au fait de la querelle qui opposait Hugo à Olivier, mais son sens profond du collectif et de l'esprit d'équipe l'inciter à ne pas y prêter attention, et à laisser les jeunes régler leurs problèmes comme des grands.

Une fois dans son bureau l'entraîneur invita les trois joueurs à s'asseoir, Antoine se plaçant au milieu, fidèle à la position qu'il occupait dans ce conflit.

« Bon, entama le coach, Hugo est-ce que tu pourrais me raconter ce qu'il s'est passé ?

- Euh... Le gardien semblait étonné de cette question, comme s'il avait complètement oublié ses responsabilités de capitaine. Julia et la femme de ména- euh cuisinière se sont disputées et elles ont commencé à se ba-...

- Mais ta geule putain ! Le coupa Olivier. Cette putain de tarée qui nous sert de boniche a littéralement sauté à la gorge de Julia, ok ?! »

L'entraîneur regarda le joueur de Chelsea avec perplexité. Ce dernier avait sauté de sa chaise et était désormais appuyé sur le bureau de son coach, le poing serré de rage et les yeux trempés de larmes. Antoine tenta d'apaiser son camarade en saisissant affectueusement son avant-bras, mais Giroud se défit de l'emprise de son ami et braqua son regard furieux sur lui.

« Et toi t'étais où quand c'est arrivé ?! Combien de temps t'as passé avec ta propre sœur jumelle ces derniers mois de toute façon ?! Pas la peine de pleurer quand il lui arrive un truc si t'es même pas là pour elle au quotidien ! Moi j'ai toujours soutenu Barba-

- Ne parle même pas d'elle connard ! »

L'interruption soudaine et courroucée de Lloris décontenança son coach comme ses deux coéquipiers, et un silence de plomb s'en suivit. Didier Deschamps regardait tour à tour ses joueurs mais les trouvait méconnaissables. Lloris et Giroud, ses deux piliers, les membres les plus calmes et paternels de l'équipe tremblaient à présent de rage. Antoine, le trublion, le joyeux luron de la bande, semblait plus triste qu'il ne l'avait jamais été. Le coach savait que c'était à présent à son tour d'intervenir, qu'il devait mettre un terme à cette crise, mais la situation lui semblait tant lunaire que les mots parvenaient difficilement à sa bouche.

« Les gars vous avez complètement craqué ou quoi ? Vous êtes les mentors de cette équipe, deux champions du monde, et vous vous comportez comme des gamins de 14 ans ? Bordel mais vous avez pété un plomb ou quoi ?! »

Tandis qu'il parlait, l'entraîneur avait le sentiment de reprendre le contrôle de la situation et par conséquent son ahurissement se muait en colère.

« Vous savez quoi ? Si ça continue comme ça aucun de vous deux ne sera titulaire pendant le mondial. Je donnerai le poste de capitaine à quelqu'un d'autre. Pourquoi pas Pogba ? Après tout, tout le monde pense qu'il devrait l'être. Ça fera sans doute jaser la presse, mais vous vous démerderez avec ça. Je vous laisse réfléchir à tout ça dans vos chambres cet après-midi, pour ma part je vais voir comment se porte mon attaquante. »

Sans laisser le temps à ses joueurs de répondre, Didier se leva de sa chaise et sortit de son bureau. Il savait qu'il venait de taper fort, notamment envers Hugo, mais ce rabrouement lui avait semblé nécessaire. Quant à Antoine, il s'était sans doute retrouvé au cœur de la tempête sans pleinement le mériter, mais l'entraîneur espérait que cela donne aussi un coup de fouet à l'attaquant de l'Atletico dont l'émotivité empiétait souvent sur le jeu. Tandis qu'il se demandait une nouvelle fois comment la maîtrise légendaire de son numéro 1 et le calme religieux de son numéro avaient pu être à ce point altérés, un infirmier vint à la rencontre de Didier et lui fit son rapport.

« Je ne vais pas vous mentir, Julia Griezmann a subi d'importants dommages. Non seulement son nez est cassé à cause des coups de poing qu'elle a reçus mais en plus il semblerait que sa chute ait provoqué une sévère entorse de son genou gauche... »

Deschamps poussa un long soupir. Un nouveau problème – et non des moindres – venait de s'ajouter à sa liste. Heureusement, les entraînements commençaient à peine et il ne lui serait pas difficile d'appeler un remplaçant et de titulariser Adrien Rabiot à la place de Julia. Mais une nouvelle fois la presse allait jaser, et c'est ce que l'ancien défenseur détestait par-dessus tout. Sur le plan strictement tactique, la perte de Julia ne serait sans doute pas fatale pour l'équipe de France. Un quatuor d'attaquants composé de Mbappé, Giroud, Rabiot et Griezmann semblait plus que convainquant sur le papier, mais l'entraîneur était bien placé pour savoir que ce qui prévalait était la cohésion des joueurs plutôt que les compétences individuelles. C'était bien cela qui avait fait gagner la France en 2018. Or, Julia participait grandement à l'alchimie globale des attaquants, et était notamment un soutien primordial pour son frère. Antoine Griezmann était indéniablement un joueur sensible, qui n'était performant que s'il se sentait suffisamment appuyé par ses coéquipiers. Comment une telle complicité pourrait s'instaurer en si peu de temps entre lui et l'attaquant du Paris Saint-Germain ?

Perdu dans ses pensées, Didier Deschamps atterrit dans la cuisine de Clairefontaine sans y avoir intentionnellement cheminé. Peu importe, il fallait qu'il ait une petite discussion avec Andy. Cependant, il régnait dans la pièce un silence complet, et la femme à tout faire de l'équipe de France n'était pas en vue. Interloqué, le coach tendit l'oreille et entendit finalement quelques sons étouffés, provenant d'une pièce adjacente à la cuisine. A pas de loup, il s'approcha de la porte d'où provenaient ce qui ressemblait de plus en plus à des gémissements, et fut étonné de constater qu'il s'agissait de celle menant à la chambre froide. Prenant son courage à deux mains, l'entraîneur ouvrit la porte d'un geste brusque et tomba nez à nez avec Andy et Adil Rami... En plein ébat. 

Pierre qui roule...Where stories live. Discover now