VINGT-CINQ

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— Bon... bah finalement, c'est peut-être mieux que tu répondes pas. Je... je voulais juste te dire que... j'ai besoin de toi. Je voulais pas me l'avouer parce que je ne voulais pas rester la fille que j'étais avant, mais je n'arrive pas à te laisser tomber parce que tu es la seule qui m'a toujours comprise. Et là, je dois bien accepter que je ne peux pas me passer de toi, même si je fais tout pour. April... je sais que tu vas venir ici, et je veux te prévenir. Tu ne sais pas dans quoi tu t'embarques, et tu ne sais pas à quel point ma vie est en bordel en ce moment. C'est à un tel point que je ne sais même pas si je pourrais trouver les mots pour te l'expliquer. Mais... je ne veux pas te faire du mal, et je ne veux pas que tu viennes seulement parce que j'ai besoin de toi pour ranger mon esprit. Je ne suis plus du tout la même fille qu'avant, alors je ne veux surtout pas que tu t'attendes à retrouver ton amie d'il y a des mois, je... Je ne sais pas si tu m'accepteras comme je suis maintenant, en fait. C'est un peu ça qui me fait le plus peur, je crois. Que la personne qui compte le plus pour moi en ce moment me lâche parce que je ne vaux plus le coup... Oulà, non je m'embrouille ! Bref, je suis terrifiée, plus que je ne l'ai jamais été, vraiment. Et je crois qu'il n'y a que toi qui pourrait me faire avoir moins peur, mais en même temps te revoir pourrait être la chose qui me fera le plus mal. Tu es ma meilleure amie depuis tellement longtemps que je ne me rappelle plus comment on a fait pour le devenir, et j'ai peur que maintenant que les choses ont changé, on n'y arrive plus. Donc j'imagine que je veux rester dans les souvenirs que j'ai de toi, et ne pas confronter la réalité. J'ai toujours eu ce problème, tu ne trouves pas ? Bref. Je ne sais même plus pourquoi je t'appelais. Désolée, oublie ce que j'ai dit !

Je raccroche d'un coup sec et un long soupir s'échappe de ma gorge nouée. Je me suis complètement perdue dans mes explications. Je ferme les yeux pendant un instant, encore dérangée par les larmes qui y perlent mais ne coulent pas. La respiration lourde, je me plie en deux et pose mes mains sur mes genoux, le cœur si serré que ma poitrine entière me fait mal. C'est de pire en pire. J'ouvre peu à peu mon corps et mon esprit à la souffrance, et je sens qu'elle ne va pas tarder à percer et s'abattre sur moi plus violemment qu'elle ne l'a jamais fait.

*  *  *

Alors que la sonnerie annonce la fin du cours et la pause de midi, je baisse les yeux et range mes affaires. J'ai passé toute la matinée déjà à éviter Tyler du regard, et je l'imagine déjà m'attendre à la sortie de la salle. Alors, pour esquiver cette éventualité, je m'empresse d'enfoncer mes écouteurs dans mes oreilles et serre les poings. Je parviens à suivre la masse jusqu'au couloir, et me permets un léger soupir de soulagement quand je suis enfin séparée de mes camarades et du danger que représente le plus important d'entre eux.

Préférant rester seule aujourd'hui, je m'isole rapidement dans un coin du lycée que je sais peu fréquenté, près d'une grande fenêtre donnant sur l'herbe ensoleillée tapissant les alentours. Je m'affale donc dans un fauteuil, appréciant ce moment de relâchement solitaire, et pose les mains sur mes tempes en regardant dehors. Comme si cela allait me vider l'esprit, je me force à n'observer que le mouvement doux des feuilles des arbres et des brins d'herbes sous la brise légère, à ne m'attarder que sur la façon dont les rayons du soleil les caressent. Je ne sais pas combien de minutes passent alors que je contemple le temps en rêvassant, mais je ne m'en détache pas une seconde. Peut-être que j'espère y trouver une sorte de méditation, une manière de m'échapper de mon corps pendant quelques secondes. Je crois que ça fonctionne un peu.

— Salut, toi.

Je sursaute doucement et me retourne vers la source de cette voix au ton doux. Jason se laisse tomber dans un fauteuil face à moi, et m'adresse un sourire énigmatique. Je ne lui réponds pas, et reporte mon attention sur la fenêtre en posant mon menton sur la paume de ma main. En sentant son regard peser sur moi avec insistance, je soupire.

AliveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant