Chapitre 2

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Tel un petit garçon abandonné, orphelin, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps, pendu au grand portail qui demeurait désespérément fermé. La vie m'avait tout pris : mon père et ma mère étaient morts, je ne détenais plus aucun repère, loin du cocon familial, de mon frère et ma sœur. J'ai longtemps attendu aux abords de la clôture ou guetté derrière les hautes grilles l'arrivée de Picouly, persuadé qu'elle apaiserait mes sanglots et me consolerait de la perte de nos parents. Je pensais qu'avec elle ma peine serait moins difficile à supporter, qu'elle allait se battre pour nous récupérer.

Les jours, les semaines, les mois et même les années ont passé et j'ai arrêté d'espérer. J'ai grandi loin d'eux, comme un petit oiseau tombé trop tôt du nid. Blessé, le cœur déchiré, j'ai compris que ni ma sœur, ni personne ne viendrait, qu'ils étaient trop jeunes pour nous avoir sous leur responsabilité. Après tout, Paco n'a que deux ans de plus que Tito. Il a tout juste dix-huit ans et Picouly qui n'avait que douze ans à l'époque de notre séparation, doit en avoir dix-neuf maintenant.

Aujourd'hui, il ne me reste presque rien du camp de voyageurs, si ce n'est ce couteau que je continue d'utiliser à chaque repas et que je n'oublie pas de transférer d'une poche de pantalon à l'autre dès que j'en change. J'ai effacé les visages et les voix de ma petite enfance, j'ai enseveli les derniers souvenirs de cette existence chargée de liberté. J'ai tenté de mettre de côté cette histoire pour refermer la plaie qui saigne encore, surtout le soir au coucher, mais je ne me plains pas, je garde pour moi ce poids que l'on devine pourtant si facilement, à mon air parfois trop grave.

Désormais, j'affectionne particulièrement le confort haut de gamme de ma famille d'accueil, j'en apprends les principes beaucoup plus stricts et contraignants que ceux du camp. Chaque jour, je m'acclimate un peu plus à leurs règles, résigné depuis bien longtemps, malgré mes blessures. J'apprécie le soutien qu'ils m'apportent quand je fournis des efforts. Même si je suis conscient qu'ils ne remplaceront jamais mes parents décédés, je leur suis reconnaissant de prendre soin de moi.

Paco n'a donné aucun détail sur une éventuelle date de départ. Je l'ai trop attendu et j'espère aujourd'hui qu'il s'agit juste d'une promesse en l'air, qui ne sera pas tenue. Je ne comprends pas de quel droit lui ou Picouly débarqueraient maintenant dans notre vie. Mitigé par l'envie de les revoir pour en savoir plus sur eux et submergé par un sentiment de colère qui ressurgit au fond de moi, j'ai la gorge serrée. Je me lave les dents avec énergie pendant que Tito, qui se prépare en même temps que moi pour aller dormir, chantonne gaiement. Depuis le coup de téléphone, son air buté et mauvais a disparu, pour laisser place à un sourire béat. Ses yeux noirs, si durs habituellement, restent plissés en mode comblé. Pour lui, notre retour au camp est une véritable providence. De manière fraternelle, il me met une tape sur l'épaule et file dans sa chambre alors que je rejoins la mienne.

De façon machinale, je retire ma chemise et la pends sur un cintre dans mon immense placard mural. Au passage, je retends mon poster de Liam Gallagher, le chanteur d'Oasis, qui trône au centre de la tapisserie ornée de bleuets. Puis, je plie mon pantalon de manière à ne pas le froisser et le dépose sur ma chaise de bureau. Une fois en caleçon, je me jette sur mon grand lit et décide de mettre cette affaire de côté. Malgré un mal au ventre dû à l'angoisse de la soirée, j'essaie de me concentrer sur mes cours d'histoire que je dois réviser pour l'épreuve du Brevet blanc de demain. J'étale sur ma couette fleurie mon classeur, mon livre ainsi que toutes mes fiches triées par chapitre. Je n'ai pas le temps de me plonger totalement dans mes notes que quelqu'un gratte à ma porte et l'entrouvre. Agnès se présente dans son grand T-shirt rose, ses cheveux blonds enfin séchés et impeccablement coiffés.

— Tu crois que tu vas partir ? me demande-t-elle désemparée.

Avec délicatesse, elle s'avance jusqu'à mon lit, ses yeux s'attardent avec pudeur sur mon torse nu. J'aime bien le coup d'œil qu'elle jette sur moi à ce moment précis, plus ou moins insistant, mais discret, alors qu'elle se mord la lèvre inférieure. Une fois à ma hauteur, elle me fait face et nous échangeons un long regard chargé de tristesse et d'inquiétude. Elle finit par s'asseoir sur le bord du matelas, son genou touche délicatement ma jambe, mais je ne sais pas si elle le fait exprès. Je mime de ne pas y prêter attention, mais je ne vois que ça.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant