Chapitre 3 (suite)

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***

Une fois recousu, nous rentrons à la maison. Le poing bandé et désinfecté, je ne ressens plus de douleur grâce aux anti-inflammatoires. Je n'ai rien de cassé, simplement une jolie plaie qui deviendra une cicatrice supplémentaire, une trace indélébile de mon existence amochée.

En ouvrant la voiture, le vent s'engouffre à l'intérieur de l'habitacle. La bourrasque est si puissante que j'ai du mal à retenir la portière d'une seule main pour éviter qu'elle ne claque. Je lève les yeux vers les nuages noirs et observe les branches des arbres qui dansent et craquent quand je reçois en plein visage les premières gouttes d'une pluie glacée.

— À la maison ! nous ordonne Pierrot. Il va grêler.

Nous courons tous les trois vers la buanderie pour nous abriter. En m'essuyant les pieds sur le seuil de l'entrée, l'odeur de la nature déchaînée, de l'herbe mouillée et de la terre humide chatouille mes narines et m'inquiète. Mon cœur s'affole quand le ciel se fâche et tambourine si intensément que je sens sa puissance jusque dans ma poitrine. L'orage évoque pour moi un phénomène irrépressible. Il réveille toujours la colère que je tente de maîtriser, la douleur et le souvenir de ceux que j'ai perdus. J'ai cette envie incontrôlable de crier, de hurler plus fort que le tonnerre, pour lui ordonner de me rendre ce qu'il m'a pris cette fameuse nuit. La liberté, une partie de mon enfance, mes parents.

Avant de refermer la porte, je siffle les deux chiens, qui erraient dans le jardin, pour les mettre à l'abri. Les oreilles baissées et la queue rentrée, ils sont terrorisés et se réfugient tous les deux sous le grand évier en pierre.

Dans la maison, l'ambiance est aussi tendue que dehors. D'une froideur extrême, les parents m'envoient dans ma chambre pour réfléchir à mon acte pendant qu'eux-mêmes s'enferment dans le bureau pour débattre de mon sort.

Tito, qui vient d'arriver et qui a eu vent de l'histoire par Agnès, apparaît dans l'embrasure de ma porte. Il affiche un sourire moqueur en me découvrant allongé sur mon lit.

— Alors comme ça, tu prends exemple sur moi ?

— Rho ta gueule...

Je lui balance le livre que j'étais en train de lire pour passer le temps. Je n'ai pas envie de lui ressembler. Tito est violent pour être violent. Il aime s'embrouiller avec les gens de notre âge et leur rappeler que c'est un gitan. Je ne suis pas comme ça. Je me bats pour une conviction quand je suis arrivé à la conclusion que la personne en face de moi ne pourra pas être convertie sans une leçon mémorable.

— Il est à l'hosto, le garçon ! Tu l'as éclaté !

J'essaie de me persuader que j'y suis allé un peu fort, mais en voyant le visage angélique d'Agnès apparaître, je suis assuré que j'ai agi pour la bonne cause. Son corps si pur ne doit en aucun cas être souillé par les mains baladeuses de ce saligaud d'Hubert. Agnès mérite le respect.

— Papa et maman t'attendent dans le bureau... déclare-t-elle du bout des lèvres.

Je soupire en prévision de la longue discussion qui s'annonce, je ne me sens pas prêt pour cette épreuve.

— Tu devrais te changer, me conseille-t-elle en désignant les taches de sang.

Elle a raison. Je ressemble au boucher du quartier et les parents n'ont pas besoin que je leur rappelle la fureur dont j'ai fait preuve. Je me lève et ouvre mon armoire puis choisis une chemise bleu ciel que je jette sur mon lit. Sous les regards amusés de Tito et Agnès, je me déboutonne de la main avec difficulté. Mon poing gauche est trop enflé pour que je me serve de mes doigts.

Une fois torse nu, je passe ma blouse propre. J'ai encore plus de mal à me boutonner. J'aurais mieux fait d'enfiler un polo, cela aurait été plus simple, je regrette.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant