Chapitre 5 (suite)

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***

La petite terrasse est devenue mon refuge après l'altercation et j'ai compris qu'ici, j'étais dans mon périmètre de sécurité, que personne n'approcherait pour m'embêter. Sur le côté le plus élevé du terrain, les vieilles palettes recouvertes de planches forment une grande plate-forme d'où je surplombe de manière stratégique tout le camp. Assis dans mon fauteuil en plastique, je détaille l'ensemble du champ et je peux observer les allées et venues de chacun ainsi que leurs comportements.

Cependant depuis la querelle, je remarque que mon oncle vient plus souvent rôder de mon côté, trouvant des excuses superflues pour rendre visite à mes frères ou Yankee. Je le surprends parfois à scruter avec attention dans ma direction et quand je ne le vois pas, je sens l'odeur insupportable de son cigare qu'il trimballe partout.

Lorsque Yankee arrête son fourgon flambant neuf devant moi, mon cœur s'emballe. Ce moment tant espéré arrive enfin et je ne peux plus contenir ma nervosité. Une jeune femme d'une vingtaine d'années descend avec un bébé dans les bras, en dépit de son allure encore adolescente, une image me vient aussitôt à l'esprit. Je suis sous le choc, littéralement submergé par l'émotion, tant elle ressemble à notre mère. Ses cheveux blonds peroxydés sont maintenus par une pince pas assez serrée, laissant tomber quelques mèches sur son visage qui s'illumine quand elle me voit. La fille tend le nouveau-né à Yankee et s'avance d'un pas décidé. Elle semble heureuse de me retrouver malgré ses traits tirés.

— Viens faire une bise à ta sœur, malpoli !

Je ne bouge pas de mon fauteuil, Picouly s'approche et ose mettre un pied sur la limite de mon espace protégé. Je ne sais pas comment réagir maintenant qu'elle est là, j'ai espéré ce moment à un point tel, que je suis tétanisé.

— Manuel !

En entendant ce prénom, je reprends mes esprits et secoue la tête négativement pour lui signifier que je ne veux pas qu'elle m'appelle ainsi. Ils ont trop tardé pour me récupérer, je ne suis plus Manuel. Pourtant, lorsque sa main passe sur mes cheveux, je ne peux m'empêcher de m'abandonner contre sa poitrine. Je ferme les yeux en retrouvant ses gestes, me laissant submerger par les odeurs de mon enfance : la fraîcheur des agrumes, la vanille et les épices ; son parfum me replonge dans mes souvenirs, ceux où elle me câlinait sur ses genoux.

Elle m'étreint un long moment, il n'y a pas de doute, je lui ai manqué autant qu'elle m'a manqué. Je suis rassuré de savoir que je compte encore pour elle. Alors pourquoi ? Pourquoi n'a-t-elle pas cherché à me revoir ? Cette question me hante toujours et j'espère pouvoir un jour y répondre.

Mes deux frères sortent avec fracas de la caravane où ils étaient rentrés s'étendre après le repas. Picouly me lâche pour embrasser Tito et l'enlacer. Bien qu'ayant des talons, elle apparaît vraiment petite au milieu de nous trois. Elle est obligée de s'élever sur la pointe des pieds pour faire la bise à Paco qui la taquine en restant bien droit.

— Vous avez beaucoup grandi, hein ? constate-t-elle en mettant une tape affectueuse sur la joue de Tito.

— C'est toi qui as oublié de grandir, ma sœur ! lui répond Paco, heureux de nous voir ensemble.

La fratrie est au complet et depuis que nous sommes réunis plus rien n'est pareil. Tout est chamboulé dans ma tête, je n'ai plus de certitudes même si la chaleur que dégagent nos accolades me réchauffe le cœur. Les tensions du repas sont tout à fait évaporées maintenant que Picouly est rentrée. Autour du camion, les gens se pressent pour découvrir le nouveau-né, mais pour le moment, elle s'en moque. Je le lis dans son regard brillant. Nos retrouvailles ont plus de valeur pour elle et cela me fait terriblement plaisir.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant