Chapitre 6 (suite)

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Les jours passent sur le campement et personne ne veut évoquer cette période révolue. Le silence aiguise d'autant plus ma curiosité, je m'interroge sur ce qu'il est arrivé et imagine plusieurs scénarios que je prends soin de taire, à cause de Loran et de Bastian qui rodent toujours autour de moi. Ils surveillent mes faits et gestes et j'ai bien compris qu'il y a des choses que je ne dois pas dire, des secrets que je ne dois pas déterrer. Je ne peux rien partager sur le sujet avec Tito, bien trop heureux d'être parmi les nôtres. Il semble tout à fait indifférent à ces événements et serait capable de tout accepter pour rester ici. Paco et Picouly craignent l'autorité oppressante de celui qui les a élevés, ce même homme qui me répugne et m'indispose par sa présence et son regard. Ils ne sont pas encore prêts à l'affronter, mais je garde espoir, je souhaite que ce jour approche.

N'ayant rien d'autre à faire que ruminer cette histoire, je traîne dans mon lit trop petit et ma chambre étouffante. Je dors si mal, ma conscience me tourmente et attaque sans prévenir mon esprit en plein milieu de la nuit. J'aimerais bien savoir s'ils parlent de moi au haras ou si je leur manque, en particulier à Agnès. Je me sens coupable d'être parti fâché avec Pierrot. J'espère qu'il ne garde pas une mauvaise opinion de moi et je me demande bien comment je pourrai revenir à présent. J'appréhende tant ce retour que je le repousse, cherchant en vain une raison de réapparaître, de me présenter là-bas. Tandis que je me retrouve bloqué dans cette situation délibérément choisie, je réfléchis patiemment de loin en étudiant le camp.

Quand je ne dors pas, je fume les cigarettes que veut bien me donner Paco ou que je pique à Tito, en contemplant la vie sur le terrain depuis la terrasse. Je connais les habitudes de chacun. Celles de mon gros lard d'oncle qui envoie ses neveux bosser tous les matins. Certains hommes font de l'élagage, et d'autres, quelques travaux agricoles auprès de producteurs de la région. Loran vocifère sur ceux qui ne se lèvent pas, alors que lui passe son temps assis devant le chalet, sur son banc, à tirer sur son cigare et à boire de la bière.

J'admire les rites des femmes qui contribuent avec rigueur au rangement des caravanes, aux courses et à l'alimentation. Telles des petites fourmis, elles agissent pour le bien-être de tous et n'en reçoivent aucune reconnaissance. J'observe les jeux des plus jeunes, leurs cris, parfois de joie et parfois de colère, leur insouciance. J'écoute les hurlements des chiens dans le chenil lorsque Paco leur porte le repas journalier ou quand ils ont compris qu'ils vont partir chasser.

J'ai abandonné la cadence soutenue que j'avais au haras. Je profite de la liberté de dormir quand bon me semble ou quand j'en ressens vraiment le besoin. Je vis au rythme du soleil. Je me lève à l'aube en même temps que ses rayons qui percent le rideau fin de la caravane et je me couche alors qu'il disparaît de l'horizon après avoir rougi le ciel. Chaque fois que je suis pris par des insomnies insurmontables, je brave le clair de lune, comme cette nuit. Je me promène au milieu de la trentaine d'habitacles qui occupent le terrain. Regroupés par famille, ils sont toujours disposés de manière identique, la plus grande habitation pour les parents et une plus petite à côté pour les enfants.

La parcelle de terre non clôturée est recouverte d'herbe, assez haute et jamais tondue. Personne ne se colle au jardinage, contrairement au haras où c'est une véritable passion commune pour Vanessa et Loupapé, le grand-père. Sur le campement, les allées se sont creusées à cause du passage. Tout est à l'état sauvage, les voyageurs côtoient la nature et ne cherchent pas à l'apprivoiser.

J'ose quitter mon sanctuaire et m'aventurer sur la place redoutable de mon oncle. J'apprécie ces veillées nocturnes. Elles me permettent d'en savoir un peu plus sur les agissements de ma famille. J'ai vite compris qu'ils améliorent leur train de vie grâce à de menus larcins et des chapardages que font les adolescents. Contrairement à Pierrot qui condamne le vol, sur le terrain, cela ne dérange personne.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant