Chapitre 8 (suite)

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***

En ouvrant la porte, une odeur de lessive vogue dans les airs et je soupçonne Vanessa d'avoir changé les draps de mon grand lit pour préparer mon éventuel retour. Mis à part le doux parfum de lavande, rien n'a bougé dans ma chambre qui soudain m'apparaît immense en comparaison du minuscule recoin que je partage avec Tito. La tête échevelée de Liam Gallagher n'a pas été arrachée des murs, toutes les disquettes de jeux de ma Gameboy sont encore posées sur ma commode et la pile de livres entassés sur mon bureau attend toujours d'être lue. C'est la première chose que je charge au fond du sac de sport que j'ai trouvé dans mon armoire. Quoi de mieux qu'un bon Agatha Christie pour passer le temps ?

À travers le carreau de la grande fenêtre, j'admire avec un pincement au cœur la vue sur l'immense parc verdoyant. Les plus beaux chevaux sont en train de paître à l'ombre de la haie de platanes, alors qu'un poulain imite les pas de sa mère jusqu'à l'abreuvoir. Je me ressaisis en réalisant que la nuit tombe et qu'à pied, je vais mettre un sacré bout de temps pour rentrer. Je choisis dans mon armoire quelques vêtements et j'enfourne le maximum d'affaires le plus délicatement possible pour ne pas trop les froisser. Agnès, qui m'a suivi, s'est assise sur mon lit et m'observe avec tristesse.

— Donc c'est définitif, tu ne reviendras pas ? finit-elle par m'interroger.

Sa question déchire mon cœur et relance en moi l'éternel débat. Je me demande comment j'ai pu abandonner la paisible propriété des Botchecampo pour le terrain si agité. Malheureusement, je n'ai toujours pas la réponse. Ma fierté me retient de solliciter les parents afin de faire marche arrière et reprendre mes habitudes au domaine. Je ne suis pas certain d'être prêt à les affronter sur ce sujet. Pourtant, j'aime le haras et la douceur qui s'en dégage, j'apprécie la protection paternelle de Pierrot et de Loupapé, l'affection discrète, mais bien présente de Vanessa, leurs conseils avisés, leurs encouragements. Cependant, du plus profond de mon être, une force me pousse et me guide vers ce rassemblement de caravanes qui renferment les secrets de ma famille. Entre les mots que me souffle ma grand-mère et ce refus collectif de m'avouer la vérité, je ne peux pas résister, je suis de plus en plus possédé par la curiosité de dénouer le mystère qui enveloppe notre passé. Tant que je n'aurai pas de réponse, mon esprit sera tourmenté. J'ai besoin de comprendre comment mes parents sont morts et pourquoi, j'en ai plus qu'assez du secret qui plane autour de notre histoire. Je ne saisis pas les raisons de ce silence, ce mutisme de chaque membre de ma famille, ce malaise qui se crée dès que j'interroge.

Mon cœur appartient au domaine, mais mon âme demeure prisonnière du campement.

— Je vais revenir, mais cela ne dépend pas que de moi !

— T'avais dit ça la dernière fois et on t'a pas revu pendant plus d'un mois...

Je devine dans ses mots qu'elle tient à moi et je suis au plus haut point heureux de découvrir que je lui ai manqué, que je compte pour elle. Ma réaction est immédiate : je ne peux pas m'empêcher de sourire de satisfaction en entendant les reproches d'Agnès qui me brûlent littéralement l'épiderme.

Rassuré, je m'assois face à elle sur mon lit. Si j'étais courageux, je la prendrais dans mes bras et essaierais de l'embrasser. Je suis le genre de gars qui pourrait provoquer le plus grand champion du monde de boxe et qui aussi surprenant que cela puisse paraître, est moins intrépide qu'un gosse, seul dans l'obscurité de sa chambre. En plissant le front, je tente de rassurer celle que j'affectionne :

— Je reviens demain travailler avec Loupapé et quand ma moto sera réparée, je serai libre de venir tous les jours...

Agnès affiche un air dubitatif pendant que nous restons un long moment tous les deux à soutenir le regard de l'autre dans un mutisme profond. Ce genre de silence où le monde autour de nous s'arrête, tandis que nos souffles sont à peine audibles et nos battements cardiaques presque perceptibles. Investis dans une bataille qu'aucun ne veut perdre en cédant le premier, nous attendons mutuellement qu'un de nous abdique et rompe le charme ou s'abandonne et finisse enfin par embrasser son adversaire. La partie se clôture sur un match nul, interrompu par Tom qui déboule dans la pièce en criant mon prénom.

— Hey champion, comment tu vas ?

Je le réceptionne dans mes bras, puis après l'avoir étreint, je profite de son jeune âge et son manque de force pour le rouler sur mon lit en le chatouillant partout. Le garçonnet hurle de joie, heureux de retrouver la complicité que nous partagions. Les enfants ont cette spontanéité dans leur façon d'agir que je jalouse amèrement, cette manière de ne pas réfléchir ou se créer de barrières psychologiques, de ne pas appréhender l'autre. Je devrais prendre exemple sur Tom et foncer tête baissée sur les lèvres qu'Agnès pince en nous regardant chahuter. Rouge écarlate et à bout de souffle, je lâche le petit blond pour le laisser reprendre sa respiration.

— Tu pars plus jamais ? me demande la bouille surexcitée.

— Je suis juste passé récupérer des affaires, mais je reviens demain, promis !

Je me lève aussitôt sans prêter attention à la mine déçue de Tom qui pourrait me faire culpabiliser. J'espère trouver une solution après avoir revu Pierrot. Je ferme mon sac que je jette sur mon épaule en me rendant compte que j'ai sous-estimé le poids des livres. Un peu perturbés, le frère et la sœur me suivent en silence dans les escaliers que je descends au plus vite.

En passant à proximité de la cuisine, une voix douce m'appelle. Je m'avance pour embrasser Vanessa qui est en train de décharger des courses de sa voiture. Après m'avoir chaleureusement enlacé, elle me reproche :

— J'aurais bien aimé avoir de tes nouvelles !

Je lève les yeux au ciel en me demandant bien par quel moyen j'aurais pu lui en donner, sachant que nous n'avons pas de ligne téléphonique au terrain et que je n'ai pas de carte pour utiliser la cabine la plus proche.

— Bon, c'est pas très grave ! se reprend-elle. L'essentiel est que tout aille bien pour toi et Tito, n'est-ce pas ? Voudrais-tu dîner avec nous ?

Je sens dans sa voix une certaine anxiété qui me laisse penser que je suis peut-être le bienvenu. Elle aimerait sans doute savoir comment cela se passe pour moi au campement, mais elle essaie de ne pas trop montrer son inquiétude. En guise de réponse, je hausse les épaules et abandonne mon sac par terre. Je jette un coup d'œil sur le vieux T-shirt et le jogging que je porte, puis interroge Vanessa du regard.

— Oh, ça ira, ne t'en fais pas pour ça ! me rassure-t-elle en m'invitant à m'installer au salon.

Agnès et Tom sont déjà en train de raconter à Pierrot que je suis revenu pour réparer une moto avec Loupapé. Je ne fais pas le fier et préfère rester en retrait pour le moment. Les coups d'œil interrogateurs que me jette Pierrot m'inquiètent et je crains qu'il profite de ce moment où nous sommes tous réunis pour m'adresser des reproches.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant