Partie 29, souffrance

4.9K 396 34
                                    

Loin de se douter que sur moi il lèverait la main.


Aujourd'hui je dois en parler. Je dois en parler car je ne l'ai jamais vraiment fait, ou du moins, pas aux bonnes personnes, pas au bon moment. Y a t'il bon moment ? Y a t'il un moment où se sent vraiment prête ? Un moment où l'on a moins mal ? Moins honte ? Où l'on se sent moins sale ? Je n'ai jamais réussi à trouver ce moment. Pendant toutes ces années, j'ai vécu avec ce lourd secret, en attendant ce "bon moment". Celui dont tout le monde parle. Celui où on est censé se sentir libéré, celui où on est censé être capable de parler. Je n'ai jamais réussi à parler. J'ai laissé un crime impuni, j'ai laissé des criminels dans les rues. Parce que j'avais peur, parce que j'avais honte. J'ai été rongé par la culpabilité, par le dégoût. Je me sentais faible, sale et coupable. Coupable de n'avoir jamais pu me faire justice, de n'avoir jamais pu me sauver. Demain tu verras, ça ira mieux, me disaient-ils tous. Mais qu'est ce qu'ils en savaient eux ? Qu'est ce qu'ils y connaissaient ? J'étais la seule à savoir comment et quand. J'ai pu choquer mon entourage, de ne jamais avoir parlé, d'avoir tout gardé pour moi. Mais je l'ai eu cette envie, je suis comme vous, je suis humaine. Je l'ai senti ce besoin de parler, de me faire vengeance, de hurler au monde entier que j'avais le croisé le chemin de monstres. Qui m'aurait cru ? Qui ne m'aurait pas jugé ? Qui m'aurait défendu ? Pas cette société en tout cas. Parler, mais à qui ? Je n'étais qu'une gamine, avec aucune notion de ce qu'on pouvait m'offrir comme protection. Je ne connaissais que les lois de la rue, celle qu'on m'avait inculqué. Personne ne m'en avait jamais parlé. Ni à l'école, ni à la maison. Personne n'avait jamais parlé des hommes violents, du viol, personne ne m'avait jamais appris à faire la différence entre le bien et le mal. Plus tard, j'ai appris. J'ai appris aussi l'utilité de la parole. Il n'y a pas de code, nous sommes tous différents, parler ne va pas forcément me libérer, ni me sauver. J'ai vécu trop longtemps avec cette peine, cette rage, ces cauchemars. Je ne vais pas me libérer de ce lourd fardeau aussi rapidement, mais petit à petit je cicatrice. Ça me permet de comprendre plus de choses.

J'ai rencontré Mathilde à ce groupe de parole. C'est Lui qui m'a incité à m'y inscrire.

- C'est grave ce qui s'est passé Luisa. T'as passé ton temps à le minimiser, jusque là. T'as vécu avec, t'as appris à vivre avec, mais t'aurais pas dû. C'est pas normal de vivre avec ça. Faut que t'en parles, que tu te libères un peu, que tu comprennes. M'a t-il dit au détour d'une conversation pendant le repas.

Alors je l'ai écouté. Pas seulement pour moi, aussi pour Lui. Parce que ce n'était plus qu'une question de moi seule. C'était une question de nous. Pour construire à deux, sur des bases solides, il avait besoin qu'elles soient saines. J'avais besoin d'être construite pour pouvoir construire. Je lui devais bien ça. J'ai partagé ce lourd fardeau avec Lui, le jour où avons décidé de continuer notre chemin à deux. Pour avancer à deux, m'a t'il dit, tu dois d'abord guérir. Il avait raison.


J'y suis allée à reculons, me pensant incapable de me livrer devant des parfaits inconnus. Me voyant difficilement raconter mon viol à des femmes que je n'avais jamais rencontré, alors que j'ai été incapable de l'avouer à ma propre mère. J'ai été étonné de voir qu'il y avait également des hommes dans ce groupe de parole. Des hommes battus ? Je n'y aurais jamais pensé. Il y avait des femmes de tous âges, des jeunes, des vieilles, des moins vieilles. Je pensais que la violence n'entrait que dans certains critères : chez des femmes, plus ou moins jeunes, faibles et mariées à des alcooliques. J'étais pleine de clichés.

La rose fane mais pas ses épinesWhere stories live. Discover now