Chapitre 23 : Dormez heureux

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On aura beau tout savoir, tout manigancer, tout organiser, tout manipuler, penser à tout, le sexe nous déborde. C'est un jeu très risqué. On éviterait les deux tiers de ses problèmes si on ne s'aventurait pas hors des balises pour baiser. C'est le sexe qui jette le désordre dans nos vies bien réglées en temps normal. Je le sais aussi bien qu'un autre. Toutes tes vanités, jusqu'à la dernière, feront retour pour te moquer. Il suffit de lire le Don Juan de Byron. Oui, mais que faire, quand on a soixante-deux ans, et qu'on se dit que jamais plus on n'aura la jouissance d'un objet aussi parfait ? Que faire quand on a soixante-deux ans et que l'urgence de cueillir ce qui se cueille encore n'a jamais été aussi impérieuse ?
Que faire quand on a soixante-deux ans et qu'on comprend que ces pièces détachées jusque-là invisibles (les reins, les poumons, les veines, les artères, le cerveau, les intestins, la prostate, le coeur) vont commencer à se manifester de la manière la plus alarmante à mesure que l'organe jusque-là si central est condamné à se rabougrir jusqu'à l'insignifiance ?

- La Bête qui meurt, Philip Roth. 



Lorsque la porte d'entrée s'ouvrit sur Alessandro ce soir-là, il fut accueillit par deux paires de bras qui se jetèrent simultanément à son cou. Son grand sourire dissimulait tant bien que mal ses traits crispés et son important manque de sommeil.

- Tonton  ! s'écrièrent les deux fillettes en chœur.

- Hé ! se réjouit-il d'un air tendre en les soutenant chacune d'un bras. Comment s'est passé la semaine ?

- J'ai fait de la danse à l'école ! rétorqua la petite Daphné, qui enserrerait le cou de l'italien du haut de ses sept ans.

- De la danse ? C'est superbe ça. 

- Et moi du dessin ! enchaîna aussitôt la petite dernière de quatre ans, qui voulait aussi grignoter sa part d'attention.

- Daphné, Lilou... Laissez-le au moins rentrer ! Vous n'êtes pas croyables, intervint Philippe, un rire dans la voix. On dirait que ça fait un an que tu n'es pas venu ici. 

Daphné descendit la première des bras d'Alessandro, et la petite Lilou remua à son tour pour qu'il la laisse courir après elle. Les deux hommes s'accolèrent chaleureusement, comme deux frères, et le regard de Phil s'attarda un peu sur le visage de son ami, sans qu'il n'ose rien dire. Alessandro évita soigneusement de rencontrer son expression inquisitrice, ne tardant pas à rejoindre le salon qu'il connaissait par coeur, et le renfoncement dans lequel se trouvait la cuisine. Il retira son manteau et embrassa affectueusement Caroline, affairée devant les plaques de cuisson. Elle prit le temps de lui rendre une étreinte complice.

- Hm, ça sent bon, dit-il par-dessus son épaule. Comment s'est passé la semaine ?

- Oh, tu sais, la routine, répliqua-t-elle sans grand enthousiasme, ce à quoi Alessandro acquiesça, songeur. 

La routine... Sans surprises, sans problèmes. Ce qu'il aimerait y retourner...

- C'est Phil qui a fait le dessert ce soir, ajouta-t-elle avec un air de malice dans la voix, qui interpella Alessandro et le sortit de ses pensées. 

- Toi, mon mignon ? s'étonna l'italien en adressant un regard amusé à son ami. Qu'est-ce que tu nous a fait de beau, une compote ? 

- Écoute... moi, au moins, je cuisine, répliqua l'autre depuis le salon, feignant de n'être pas amusé par son sous-entendu taquin. Je te ferai remarquer qu'on attend toujours ton fameux « Zuccotto ». 

- Ah oui, tonton ! Le Zucco'ko, on l'attend. 

- Tiens, tu vois ! s'exclama Phil d'un air théâtral, sautant sur la spontanéité de Lilou, qui passait par la cuisine, pour enfoncer son propos.

Parle-moi du bonheur (professeur-élève) - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant