Chapitre 19

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Malgré les règles et coutumes familiales, je continue de flirter en douce avec Belinda. J'aime bien l'embrasser et qu'elle me prenne dans ses bras, elle est tendre et délicate, elle apporte un peu de réconfort à mon cœur brisé. Même si ma conscience me rappelle que je la considère comme un pion manipulé pour rendre Bastian jaloux.

Ce samedi soir, nous nous sommes donné rendez-vous à l'extérieur sur le parking plein de voitures alignées, pour passer un moment seuls en toute discrétion dans la douceur de la nuit étoilée. Ces occasions sont rares, car comme toutes les filles gitanes de bonne réputation, elle a toujours quelqu'un pour la chaperonner. Nous devons utiliser divers stratagèmes pour nous dissimuler des regards et échapper aux surveillances.

Dans l'obscurité, je profite de notre escapade pour la saisir par la taille et la coller contre une bagnole. Elle m'offre aussitôt ses lèvres appétissantes qui réveillent mes sens et enflamment mon corps. Ses mains remontent jusqu'à ma nuque qu'elle caresse affectueusement pendant que je resserre notre étreinte pour la sentir plus près de moi.

— Hey, espèce d'enfoiré, qu'est-ce que tu fous appuyé sur le capot de ma caisse ? hurle d'un coup quelqu'un dans ma direction.

Je quitte à regret la bouche gourmande de Bélinda et jette un œil suspect dans la direction de la voix. Belinda se redresse en me conseillant de faire de même si je veux éviter des problèmes. Je bouge à peine, en attendant les individus, je montre même que je n'ai pas peur et que je suis prêt à me battre.

Dans l'obscurité, deux hommes s'avancent vers nous d'un pas décidé.

— Oscar, putain c'est toi, vieux ?

Dans un premier temps, je scrute les silhouettes, mais je n'arrive pas à les reconnaître, puis lorsque les deux ombres s'éclaircissent à la lueur du lampadaire, je me détends, heureux d'apercevoir mes deux anciens amis : le grand blond polonais à l'allure décontractée et l'espagnol à la chevelure brune ébouriffée : Stazek et Karlo, mes deux compères du collège, plantés devant moi.

La joie est réciproque et nous nous serrons dans les bras en nous donnant de fortes tapes dans le dos, toujours aussi surpris les uns que les autres par cette rencontre imprévue.

Alors que Belinda profite de ces retrouvailles pour s'échapper en toute discrétion, je suis mes deux vieux copains dans la discothèque pour finir la soirée. Ils m'entraînent dans une salle VIP, un coin privatisé pour des clients privilégiés. Les tenues décontractées de la pièce principale dénotent ici, où valsent les robes chics pour les femmes et les cravates pour les hommes. Stazek semble bien connaître le personnel qui ne s'oppose pas à mon entrée dans ce repaire de riches héritiers.

Tandis que derrière les cloisons, le faible peuple boit du whisky bon marché, les petits bourgeois se saoulent au champagne en catimini. Je me garde de faire une quelconque réflexion, j'essaie de me comporter avec aisance et cache mon émerveillement. Stazek et Karlo me guident jusqu'à leur table réservée.

Mon désir de fortune et de pouvoir renaît lorsque je suis confronté à ma médiocre condition. Simplement vêtu de mon traditionnel polo bleu, je sens toute la différence de style avec les costumes bien taillés qui me passent à côté. Quel choc ! Je me retrouve plongé dans la réalité des disparités dues aux classes sociales. Ces petits bourgeois friqués me jettent à la figure toute leur richesse et étalent sous mes yeux leurs tenues haut de gamme, les chaussures de marque en cuir, leurs luxueuses montres et leurs bijoux éclatants.

Cela génère en moi des complexes que je ne supporte plus. Un jour, je serai comme eux, j'aurai moi aussi ma banquette dans cette discothèque. Je me sens beaucoup mieux depuis quelque temps, je me fais petit à petit une place sur le terrain et cela me permet de revenir tranquillement à la vie. Je dois trouver le moyen de parvenir à mes ambitions et gagner davantage.

J'ai travaillé dur cet hiver, mais ce n'est pas suffisant, cela ne paye pas assez. L'été est là et comme tous les gitans, je dépense tout. Ils n'ont pas de projets ni d'économie, ils vivent au jour le jour. Leurs seuls biens sont leurs caravanes et leurs voitures. Ils n'ont pas besoin d'autre chose. Mais quand j'observe autour de moi, je ne souhaite pas subsister ainsi, je veux être supérieur, riche, puissant. Je dois trouver un moyen de gagner plus d'argent pour m'élever davantage, avoir un train de vie comme j'en ai toujours rêvé.

Entre deux verres et quelques cigarettes, je raconte, un peu confus et honteux, mon retour au sein de ma famille gitane. Stazek me met vite à l'aise en m'avouant qu'il a arrêté sa scolarité.

— J'ai tout plaqué deux mois après la rentrée. Mon père a largué ma mère, nous léguant toutes ses dettes en cadeau. Elle bosse ici, c'est la serveuse blonde du bar. C'est pour ça qu'on est privilégiés. Les videurs nous connaissent et nous laissent accéder à ce petit coin en VIP, mais en vérité, on n'a pas un rond... On boit gratis parce que ma mère se tape le patron !

En entendant les confessions de mon ami, j'ai la chair de poule. Il est donc mon compère de misère, mon collègue de malchance, mon partenaire des mauvais coups...

Puis, c'est au tour de Karlo d'enchaîner avec ses propres déboires :

— J'étais dans ce lycée huppé simplement, car ma mère y occupait un petit poste de secrétaire. Au moment de sa signature de contrat, elle a négocié mon inscription. Avec son salaire, on a toujours eu du mal à finir les mois. Mais depuis plusieurs semaines, elle a des soucis de santé et elle n'y arrive plus alors j'ai préféré arrêter aussi, pour l'aider, et depuis je bosse par-ci, par-là... Si t'as un plan, je suis preneur...

Je suis vraiment rassuré par les confessions de mes deux amis. Décidément, nous ne sommes pas si différents, je retrouve notre complicité comme au bon vieux temps. Je n'ai plus à me cacher derrière les apparences du faux bourgeois, à jouer de rôle. Finalement, Belinda a raison, je suis un gitan, mais avec de l'éducation et de la classe. Qui que je sois, je compte bien réussir en imposant ma façon de voir les choses, je vais tout faire pour m'en sortir.

— Vous venez souvent ici ?

— Tous les week-ends... valide Stazek, en me servant un nouveau verre.

— Tiens, à ce sujet, le week-end dernier, ta sœur était là ! ajoute Karlo.

Ma sœur, Picouly ? Non, impossible...

— Oui, Agnès était à la table, juste à côté de la nôtre samedi soir ! confirme Stazek. Elle nous a reconnus, nous avons pu parler vite fait avec elle.

Je suis abasourdi, comme si je venais de recevoir un coup de massue sur la tête. Je laisse tout mon être s'effondrer contre le dossier du canapé. Je n'entends plus rien. Le visage d'Agnès réapparaît, mon cœur tape fort dans ma poitrine. Agnès, comment est-ce possible ? Le sort va-t-il enfin nous réunir à nouveau ? J'avais perdu tout espoir, je n'y croyais plus !

— Elle vient souvent ? m'enquiers-je aussitôt.

— Je ne l'ai vue que le week-end dernier...

Je l'ai loupée ! Pourquoi ai-je refusé de sortir, ce soir-là ? Si j'avais su qu'elle était ici, je n'aurais pas hésité une seconde. Pourquoi le destin me joue-t-il ce tour ? Pourquoi me fait-il souffrir ainsi ?

Je m'allume une cigarette, désespéré par cette confidence. Je n'en reviens pas, je n'écoute plus mes compagnons. Plus rien ne compte. Le passé m'a rattrapé...

Sur ces révélations, je quitte mes amis pour rejoindre ma famille. Nous nous promettons de nous retrouver le week-end prochain. La perspective qu'Agnès ressurgisse me motive.

Un peu plus tard dans la nuit, lorsque Belinda s'approche pour s'asseoir à proximité de moi, je l'envoie balader assez sèchement. Elle apparaît surprise et mécontente, ses yeux me lancent des éclairs. Elle tente de me le faire savoir, mais pour moi, le jeu est terminé, je reste de marbre. Elle ne représente rien et ne compte plus, Agnès a repris toute la place dans mon cœur. Si je peux avoir le moindre espoir qu'Agnès soit enfin de retour dans ma vie, je ne dois rien négliger et encore moins de m'encombrer de Belinda.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant