Chapitre 21

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Je m'engouffre dans l'habitacle. Les clefs sont sur le contact et le moteur tourne, que rêver de mieux ? Tenir le volant de cette voiture inconnue et luxueuse me donne une poussée d'adrénaline incontrôlable. J'ai les genoux qui tremblent et le cœur qui bat à cent à l'heure.

— Démarre, vite ! Démarre ! hurle Tito, inquiet que les propriétaires nous coincent.

Je réagis aussitôt à ses paroles et claque ma portière d'un coup sec et puissant, puis je passe la première. J'accélère efficacement, les pneus crissent sur le bitume du parking tandis que l'auto s'emballe et fonce droit en avant. Je maîtrise ce véhicule à la perfection et réussis à m'échapper en évitant de percuter les voitures garées autour de nous. Je fais du gymkhana jusqu'à la sortie en guettant avec inquiétude dans mon rétroviseur que personne ne nous poursuive. Lorsque je m'aperçois que la voie est libre, devant comme derrière, je relâche la pression pour profiter de la bagnole et appuyer un peu plus fort sur la pédale, pour m'amuser cette fois. Je fais ronronner le moteur et teste la puissance du bolide, tandis que le silence règne.

Mes trois acolytes se cramponnent aux poignées, blêmes à cause de ce que nous venons de faire. Pour tenter de les dérider, j'accentue les virages et fais quelques dérapages, le compteur affiche 160 km/h, je suis aux anges. J'adore être le chauffeur de cette super bagnole, la plus belle que je n'ai jamais conduite.

Une fois l'adrénaline redescendue, je ralentis, de peur d'être remarqué sur la route par une patrouille de gendarmerie ou de police qui pourrait se diriger vers la discothèque.

— Bon on fait quoi maintenant, les gars ? demande Stazek, incommodé par la situation.

— On va pas la ramener, ça s'est sûr ! lui répond Tito en riant.

L'atmosphère s'est détendue depuis que j'ai décéléré. À l'arrière, Karlo et Stazek s'interrogent sur la réaction des propriétaires et le temps que vont mettre les flics à chercher. Mon frère, qui caresse Diabla, a l'air heureux de notre réquisition. Je suis tout à fait d'accord avec lui : il est hors de question de faire demi-tour. Aussitôt, un plan naît dans ma tête, je le communique à mes complices :

— Il faut la planquer le plus vite possible... On va la revendre !

— On peut la planquer dans le terrain ! indique Tito, en réfléchissant à haute voix. Y a pas un schmit qui viendra voir là-bas !

— Certainement pas ! Avec Bastian et l'oncle, on devrait partager l'argent de la vente ! Non, on doit trouver un endroit sûr !

Je ne veux plus rien donner à la famille. Je tiens Loran par le fric, c'est le seul moyen que j'ai en ce moment pour le contrer et ça commence à porter petit à petit ses fruits, je le pousse à bout et je sais qu'il va finir par craquer et me lâcher ce qu'il connaît sur mes parents.

Karlo me met une tape sur l'épaule et se penche en avant pour nous parler :

— J'ai peut-être quelque chose... Mes grands-parents avaient une ferme pas trop loin. C'est tout pourri et complètement à l'abandon. Y a personne qui ira chercher là-bas !

Je reconnais que c'est une bonne idée et je valide d'un coup de tête. Nous devons nous y rendre sans plus attendre avant d'être repérés. Je demande à Karlo de me montrer la route.

— C'est à une quinzaine de kilomètres, vers la Lagune, précise-t-il en me faisant signe de continuer tout droit.

Je situe à peu près le village, et Karlo m'indique le chemin à suivre. Pendant ce temps, nous faisons nos pronostics sur la valeur de la bagnole et le montant que nous pourrions en tirer.

— Le problème, c'est pas le prix ! C'est comment la vendre ! nous lance Stazek.

Il a bien raison. Comment allons-nous dénicher un recéleur ? Nous n'avons aucun filon, aucun contact qui achèterait une voiture déclarée volée. Je tapote mes doigts sur le volant en cherchant parmi nos connaissances, qui serait de confiance et capable de nous aider, mais je ne trouve personne.

— On va la planquer et réfléchir... dis-je, en essayant d'allumer la radio.

— Attends, je vais le faire, me propose Tito.

Wonderwall de Oasis sort des haut-parleurs. Il s'agit de la chanson que j'écoutais au haras. Cette musique est comme un signe positif. Cette voiture est le début d'une grande aventure, j'en suis désormais convaincu.

— Prends le prochain sentier à droite... m'ordonne Karlo.

Je mets le clignotant, ralentis et m'engage sur un petit chemin de forêt. Je ne suis pas surpris ni inquiet de quitter la route principale. Tous les camps de gitans que je fréquente sont isolés, cela ne me change pas de mon quotidien. La pleine lune brille dans le ciel, je peux la deviner au travers de branchages.

Après avoir parcouru quelques centaines de mètres sur un sentier chaotique, j'entrevois enfin se dessiner dans la lueur de mes phares une grange au cœur d'une prairie arborée, entourée par une haie sauvage. La ferme semble à l'abandon. Une partie de la toiture est effondrée sur la maison d'habitation, nous pouvons apercevoir au milieu des tuiles qui résistent encore quelques grosses poutres en bois. Les murs en pierre sont couverts de mousse, de lierre et de ronces.

— Bonne planque ! commente Tito en sifflant d'admiration.

— Avance jusqu'à la grande porte, je vais t'ouvrir ! m'annonce Karlo.

Je me gare tandis que mon ami descend. Diabla émet un couinement, elle veut sortir elle aussi. Je lui caresse la tête pour la rassurer et lui indiquer que nous sommes arrivés.

Karlo est obligé de soulever le battant qui est sur le point de s'écrouler, puis il dégage une brouette ancienne en bois pour que je puisse entrer la BMW. Une fois la place faite, je m'avance et interromps le moteur.

— Y a une vieille bâche, on peut couvrir l'auto avec ! lance Tito qui a déjà fait le tour de la pièce.

— Je vais couper les phares, on va être dans le noir complet ! On a de la chance, c'est pleine lune !

J'éteins la radio, puis les lumières avant de fermer la voiture à clef. Karlo pousse la porte derrière nous et nous nous dirigeons sur le chemin pour rattraper la route.

— Je vous propose d'aller à la cabine téléphonique qui est au village à deux kilomètres, lance Karlo. J'appellerai mon frère pour qu'il vienne nous chercher.

N'ayant pas envie de rentrer au camp à pied, je trouve l'idée excellente.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant