Chapitre 1 (version éditée)

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Chapitre 1

Printemps 1880.

Assise dans l'inconfortable fauteuil du salon, Olivia regardait par la fenêtre. À mesure que les mois passaient, cette usante routine l'affectait, et elle commençait à s'enfoncer malgré elle dans une profonde léthargie.

— Que diriez-vous de faire une promenade dans le parc, Madame ? Il fait si beau aujourd'hui ! Le coucou a chanté pour la première fois hier, vous devriez venir l'écouter, tenta Marianne afin de la distraire.

Sa fidèle femme de chambre, également chargée des tâches ménagères, ainsi que Madeleine, la cuisinière et intendante du manoir, appréciaient toutes deux beaucoup leur maîtresse, mais Marianne lui vouait un attachement tout particulier.

— Vous êtes fort aimable, Marianne ! D'ailleurs, laissez donc vos corvées et allez prendre l'air, cela vous fera le plus grand bien.

C'était une façon courtoise de la congédier tout en lui offrant du temps libre ; privilège que, dans la plupart des demeures, peu de domestiques obtenaient de la part de leurs maîtres. Olivia, elle, ne se souciait guère de la supériorité octroyée par son titre, contrairement à ses pairs. Si elle avait reçu l'éducation que lui imposait son rang, elle avait aussi acquis de son père un profond respect de l'être humain.

Le comportement du duc détonnait au milieu de tous ces nobles guindés et méprisants. À eux deux, père et fille mettaient à mal la bienséance convenue de cette fin de XIXesiècle. Cependant, le duc, passionné par les chevaux dont il faisait l'élevage, était fort bien considéré, même si son trop grand cœur lui valait aux yeux du monde la réputation d'être un peu naïf. Ce qui se trouvait être en réalité une grave erreur de jugement.

Quant à Madame Olivia de Vaire, on la qualifiait souvent d'excentrique. Sans doute parce qu'elle recevait peu, participait rarement aux mondanités, et peut-être aussi parce qu'elle n'hésitait pas à enfiler ses tenues d'amazone –spécialement conçues et adaptées pour elle par sa fidèle amie Agathe – afin de monter à cheval comme un homme et sans selle.

Au moment où la jeune femme tourna la tête et croisa le regard de Marianne, elle lut dans ses prunelles tout ce que celle-ci lui taisait. La domestique devait très certainement songer que sa maîtresse subissait les tourments d'un mariage arrangé.

Si elle savait combien elle avait tort ! Olivia faisait partie de ces rares chanceuses qui avaient toujours eu le choix ; ses parents ne lui avaient imposé nulle contrainte, au contraire ! Son père la chérissait bien trop et ne désirait qu'une chose : voir sa fille adorée heureuse. Quant à sa mère, comme la plupart des femmes de son temps, elle s'était pliée à la volonté de son époux.

Ainsi Olivia était-elle l'unique responsable de son malheur.

— Vous devriez m'accompagner, Madame. Je suis certaine que cela vous ferait à vous aussi le plus grand bien.

De toute évidence, Marianne s'inquiétait beaucoup pour sa maîtresse, et son dévouement toucha cette dernière.

Elle répondit par un sourire crispé. En dehors de son père – qui, pour l'heure, ignorait encore tout de son état et de son mariage désastreux –, seuls Marianne, Madeleine et Gérald, le majordome, se souciaient de sa santé. Elle se demandait si Narcisse avait seulement remarqué que ses joues se creusaient, que son teint se ternissait et qu'elle mangeait à peine. Et dans un sursaut de conscience, elle s'en voulut soudain de se négliger autant.

— Madame, puis-je... puis-je me permettre un conseil ? commença la femme de chambre avec timidité, rougissant jusqu'à la racine de ses cheveux roux, en partie dissimulés sous son bonnet blanc.

NARCISSE (ÉDITÉ !) ( ROMANCE HISTORIQUE SLOW BURN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant