Tome 2 - Chapitre 5 (suite)

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À ma droite, Paco garde sa main sur son pistolet qu'il cache dans la poche de son jogging tandis qu'à ma gauche, Tito et mes deux amis tiennent contre leur cœur des fusils de chasse. Les bras le long du corps et le doigt sur la gâchette, je regarde droit devant. Je me sens bien encadré et je me dis que nous sommes en mesure de tous réagir rapidement si les choses tournaient mal. Parfaitement alignés dans la lumière des phares, nous attendons la consigne pour la suite. C'est la première fois que nous avons rendez-vous avec le client en personne. Ce dernier a demandé à nous rencontrer. Habituellement, nous faisions nos transactions via les intermédiaires qu'Hubert m'avait indiqués.

Devant nous, j'observe la remorque du semi. Je suppose qu'ils vont y embarquer notre cabriolet et je suis curieux de savoir si d'autres véhicules sont déjà à l'intérieur. Pourtant, je ne m'attarde pas trop dessus, je préfère faire un rapide tour d'horizon des alentours, pour n'omettre aucun détail. C'est ainsi que je me rends vite compte d'une voiture noire, cachée derrière le camion. Les deux hommes armés jusqu'aux dents qui nous accueillent ne sont que les gardes du corps, peut-être y en a-t-il d'autres, je ne sais où. Mon interlocuteur avec qui j'ai rendez-vous est prudent, il patiente dans le véhicule et ne néglige pas sa sécurité.

— Posez vos munitions à terre ! ordonne l'un des vigiles raides dans ses rangers.

Comme chaque fois, l'individu a ce fort accent des Pays de l'Est que je n'arrive pas déterminer. Je ne bouge pas d'un pouce tandis que mon clan attend mon signal. Je refais un tour d'horizon et tente de réfléchir rapidement. Nous sommes à découvert et je soupçonne des hommes cachés dans l'obscurité qui sont en mesure de nous tirer tels des lapins. La pluie se met à tomber à grosses gouttes et nous nous retrouvons très vite trempés. Je ne suis plus le petit débutant, en trois mois, j'ai acquis un peu d'expérience et j'ai compris que pour être respecté en entendu, il ne faut pas toujours céder.

— On ne va pas poser nos fusils ! C'est assez simple, la voiture que vous avez commandée est là. On ne va pas discuter trois heures, tout a été convenu à l'avance. C'est à prendre ou à laisser !

L'individu le plus proche du semi se tourne vers le camion, il attend probablement un signal.

— C'est lequel d'entre vous qui se fait appeler Scar ?

Je fais un signe avec ma main libre, en regardant droit dans les yeux l'homme armé.

— OK, avance ! me lance-t-il.

Je déglutis et jette un coup d'œil vers Paco qui comme moi se demande ce qu'ils me souhaitent.

— OK, j'y vais les gars, repliez-vous dans les bagnoles !

— T'y vas pas tout seul ! refuse Tito.

— Ça va le faire, ils veulent la caisse, pas nous tuer ! Montez dans les voitures et couvrez-moi !

Je m'avance lentement de quelques pas tandis que mes frères et mes amis rejoignent les véhicules en pointant leurs armes en avant pour réagir en cas de salve. Les moments où nous nous amusions à nous tirer dessus avec des fusils en bois sont révolus. Nous sommes dans la réalité, devenus des hors-la-loi qui côtoient la mafia. Je ne sais pas où cela va me mener, mais je n'ai pas grand-chose à perdre. Je n'ai plus rien. Je n'attends plus rien de la vie, faire marche arrière n'est pas pour moi. Je fonce vers la voiture noire.

Un grand black avec un gilet par balle se met en travers de mon passage, il m'arrache mon fusil et me pousse contre la superbe jaguar, tandis qu'un homme me fouille rapidement.

Il trouve mon couteau dans ma chaussette et me le prend. Je retiens sa main, ce laguiole ne m'a jamais quitté. Je ne veux pas le perdre.

— On te rend tout ça en sortant ! Monte !

Une portière s'ouvre devant moi. Je marche dans une flaque et fais le plein de ma chaussure, avant de poser un pied à l'intérieur.

Un homme est assis à l'avant, je ne vois pas son visage. Je distingue simplement sa nuque et le col de sa chemise qui dépasse de son costume.

— Scar, enfin ! murmure-t-il de sa voix rauque.

Je me relève sur la banquette pour tendre ma main en avant, mais il ne bouge pas.

— Enchanté, à qui ai-je à faire ?

— Moins tu en sauras, mieux c'est !

Je me recule et détaille le chauffeur qui ne me quitte pas des yeux dans le rétroviseur. Je repère un tatouage dans son cou, une colombe.

— Ne le prends pas mal, je suis heureux de te rencontrer enfin ! Tu es très jeune ! Quel âge as-tu au juste ?

J'arque mes sourcils en regardant le chauffeur et demande naturellement.

— Je peux fumer ?

Ma vitre s'ouvre et je suppose que c'est un oui. Je m'allume aussitôt une clope et recrache ma fumée par la fenêtre.

— Bon tu m'as pas fait venir pour me complimenter, tu me veux quoi ?

Je le tutoie, après tout, c'est lui qui a donné le ton des familiarités. Chez les gitans, le tutoiement est souvent employé et j'ai remarqué que cela permet de montrer à l'adversaire qu'on ne se laisse pas faire. Il se racle la gorge et annonce la couleur :

— J'ai besoin de toi et de ton équipe pour une mission spéciale et il paraît que tu es un génie dans ta catégorie.

Je tire sur ma cigarette et lâche sérieusement en recrachant ma fumée :

— Il ne faut pas écouter ce que les gens racontent !

— Tu as un sacré paquet de fric à gagner !

— Qu'est-ce que tu veux au juste ?

Il se baisse en avant pour récupérer quelque chose puis, sans se retourner, me tend avec sa main gantée un papier plié.

— Il s'agit d'une commande particulière pour mon meilleur client, un collectionneur richissime.

Je ne regarde pas de suite ce qu'il m'a donné, j'essaie avant tout de paraître détendu, même si je suis vraiment excité de découvrir la voiture qu'il convoite. Je tente aussi de mémoriser chaque détail le concernant pour percer le mystère de son identité. Contrairement à ses employés et à l'homme que j'ai toujours eu au téléphone, il n'a pas d'accent. Pour le faire parler encore, je demande en jetant ma cigarette par la fenêtre :

— Et comment je trouve cette voiture ?

— Toutes les indications sont entre tes mains !

Il tape trois coups contre sa vitre et son sbire de dehors ouvre ma porte pour me signifier que notre entretien est terminé. Je range dans ma poche la feuille de route pour la future opération et récupère mon fusil et mon couteau.

Tandis que j'étais dans le véhicule du « requin », surnom que j'ai choisi pour mon nouvel employeur, mes frères se sont occupés de la transaction. Le cabriolet est livré et réglé. Je m'enfouis donc à l'avant de la voiture de Tito qui démarre aussitôt. Mon cœur bat à cent à l'heure, à la fois excité d'avoir rencontré un grand ponte de réseaux mafieux et rassuré qu'il ne m'ait pas flingué.

Je ne sais pas comment je vais annoncer à mes frères que je viens d'accepter un marché sans avoir pris connaissance de l'objet.

Je vais y réfléchir et ne pas les affoler, je dois dès à présent préparer ce nouveau plan.
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Bon week-end à tous !

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant