Chapitre 1

777 18 5
                                    


Lorsque Geralt compris que sa fin arrivait, bien des années après que l'histoire se fut déroulée, il conta son ensemble à votre humble serviteur que je suis, Jaskier. Ce soir-là, nous étions attablés dans mon cabaret à Novigrad, grisonnant mais tout autant affriolant, je coordonnais la soirée d'une main de maître forgée par l'expérience que j'avais acquis ces vingt dernières années. Il n'était pas rare de trouver le sorceleur dans mon établissement, nous y mangions bien, buvions mieux mais avant tout il était mon ami, et quel ami serait-il s'il se restaurait chez un concurrent ou dans un bordel miteux plutôt que chez son vieux compagnon fraîchement largué.

Priscilla, ma muse et moitié, était partie plus tôt dans la saison avec nos filles et nos fils ; je n'avais jamais réussi à être l'homme monogame qu'elle voulait que je sois mais j'avais pourtant tenté à plusieurs reprises et, malgré tout, je l'avais chéri et aimé comme nulle autre. En outre, Geralt souhaitait me raconter à nouveau les évènements de Blaviken, cette histoire je vous l'ai déjà contée et elle a d'ailleurs fait de Geralt, un sorceleur connu et de moi, un homme riche.

À cette époque, le Loup Blanc avait accepté le contrat d'un mage, Stregobor, persécuté par Renfri et sa bande, en tuant la jeune femme il conclurait ce contrat mais il tuerait aussi les plus démunis cherchant vengeance au profit des plus puissants. Dans un combat qui l'opposa à Renfri et ses sept nains, et après avoir tenté de la dérouter de ses desseins évidemment, il la tua et obtint le surnom de « Boucher de Blaviken ». Telle est l'histoire qu'il m'avait partagée lorsque nous nous étions arrêtés pour la nuit dans cette taverne où nous avions rompu le pain ensemble, je connaissais le garçon depuis peu mais je m'étais déjà élevé au rang de compagnon, non sans un peu d'insistance.

Comme vous mes amis, j'apprenais donc un demi-siècle plus tard, les raisons de son passage dans ce petit village si isolé, qu'il n'apparaît pas sur les cartes. Je découvrais ainsi les enjeux et les conséquences de ce qui s'y déroula mais également son dénouement. À son visage pâle et mélancolique, je compris rapidement pourquoi Geralt n'avait pas partagé cette histoire plus tôt dans notre amitié, car s'il y a bien une chose qui se lit aisément dans les yeux du sorceleur c'est sa maladresse lorsqu'il s'agit de sentiments, et bien loin de mes compétences et de mon palmarès, Geralt était pourvus de l'élégance littéraire des marins à la criée ; encore plus à l'époque, il ne savait ni les reconnaître ni les raconter.

La première fois qu'il m'expliqua d'où lui venait le surnom du « Boucher de Blaviken », Geralt me conta comment s'il avait atterri dans ce petit village, pour la toute première fois, et rencontra le maire, Caldemeyn, afin d'obtenir une récompense. Mais en réalité, c'était la troisième fois qu'il se rendait là-bas, un habitué des lieux en somme et surtout de la taverne locale, La Cours dorée. Lorsqu'il passa à Blaviken la première fois, Geralt, qui n'avait que la cinquantaine à l'époque, avait été missionné par un riche marchand de la Baie de Praxède.

L'homme d'affaires voyait ses marchandises détruites et ses clients partir pour la concurrence à cause de l'affluence de monstres en tous genres dans la région de Lucoméranie. Il promettait à notre sorceleur deux couronnes par têtes, la réparation de ses épées ainsi qu'une veste en cuir somptueuse née du travail d'un maître d'œuvre expérimentée selon les dires du marchand. Geralt avait parcourus la région et remarqué la prolifération de nécrophages attirés par les cadavres qui gisaient sur le sol, il accepta la proposition de contrat sans rechigner, quelques couronnes contre quelques goules seraient largement suffisant. Il veillerait même à brûler les corps qu'il trouverait grâce à son sort de feu, Igni, afin de préserver le calme qu'il apporterait. Mais n'est pas le Loup Blanc qui veut, et Geralt n'avait pas l'expérience qu'il a aujourd'hui.

Mal avisé, mal préparé et probablement mal baisé, le sorceleur s'était lancé à corps perdu dans sa quête, tuant quelques groupes par-ci par-là, il avait alors atterri dans un cimetière fraîchement établi, des tombes peu nombreuses mais aussi peu profondes laissant s'échapper les chaires putrifiées des morts et une odeur de charogne faisandée, un buffet pour les nécrophages qui y habités désormais. D'ailleurs, s'il est commun de trouver des cimetières dans les autres royaumes, en Rédanie, le Culte du Feu Éternel était la religion dominante, et tyrannique, du royaume. La coutume voulait que les morts subissent une incinération, rendant les nécrophages rares et principalement causés par les maladies et les guerres. Le climat politique actuel aurait pu être une cause de leur apparition, quelques cas de pestes avaient été rapportés mais peu pris au sérieux et le bruit courait que des mercenaires engagés par la Téméria provoquait des famines dans les villages du royaume en détruisant les récoltes. En revanche, cela n'indiquait pas ce qu'un cimetière faisait là.

The Witcher : La Dernière HistoireWhere stories live. Discover now