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Hoseok est assis par terre, appuyé contre un poteau, il a déposé devant ses pieds une boîte de thon vide dans laquelle sont tombées quelques pièces. Je n'ai pas vérifié les horaires des trains sur le panneau d'affichage, je me suis dirigé directement vers le quais, à l'endroit même où il m'avait abordé, je m'avance vers lui d'un pas décidé, je m'approche et soudain j'ai peur qu'il ne se souvienne pas de moi.

- Salut.
- Tiens, Kim Namjoon.

Il a dit ça sur un ton hautain, celui qu'on utilise pour imiter les gens un peu snobs dans les sketches comique ou les publicités. J'ai failli faire marche arrière mais j'avais pas mal répété et n'avais pas envie de renoncer.

- J'ai pensé qu'on pourrait aller boire un chocolat...ou autre chose...Si tu veux. Je t'invite.

Il se lève d'un bond, attrape son sac en toile, marmonne qu'il ne peut pas laisser tous ça là, il désigne du menton une petite valise à roulettes et deux sacs en plastique plein à craquer, je prends les sacs et lui laisse la valise, j'entends un merci derrière moi, sa voix me paraît moins assuré que la première fois. Je suis fière d'avoir fait ça, d'ouvrir la marche, et pourtant je suis mort de peur à l'idée de me retrouver en face de lui. Près des guichets nous croisons un homme avec un grand manteau sombre, il lui fait un signe, je me retourne, je le vois répondre, de la même manière, avec un petit mouvement de la tête, imperceptible, en guise d'explication il me dit qu'il y a beaucoup de flics dans les gares. Je n'ose pas poser de question, je regarde autour de moi si j'en repère d'autres, mais je ne vois rien, je suppose qu'il faut beaucoup d'entraînement pour les reconnaître. Comme je m'apprête à entrer dans le café situé à côté du panneau d'affichage de trains, il me retient par l'épaule.

Il ne peut pas aller là, il est grillé. Il préférait sortir. Nous passons devant le relais à journaux, il fait un détour pour saluer la femme qui tient la caisse que j'observe de loin, elle a une grosse poitrine, ses lèvres sont peintes et ses cheveux roux flamboyant, elle donne à Hoseok un Bounty et un paquet de petit Lu, Hoseok me rejoint. Nous traversons le boulevard et entrons dans l'une de ces brasseries aux larges vitrines qui se ressemblent toutes, j'ai juste le temps de lire le nom inscrit sur l'auvent. A l'intérieur sa sent la saucisse et le chou, je cherche dans ma base de données interne à quelle spécialité culinaire peut correspondre cette odeur, potée au chou, chou farci, chou de Bruxelles, chou blanc, savez-vous planter les choux, il faut toujours que je prenne les chemins de traverse, que je me disperse, c'est énervant mais c'est plus fort que moi...

Nous nous asseyons, Hoseok garde ses mains sous la table. Je commande un coca, il prend une vodka. Le serveur hésite quelques secondes, un peu plus il va lui demander son âge, mais il soutient son regard avec une insolence incroyable, ça veut dire ne me fais pas chier connard, ça j'en suis sûr, on peut le lire comme sur une pancarte, et puis il voit son blouson troué, celui qu'il garde au-dessus, et comme il est sale, il dit sa marche et tourne les talons.

Je vois souvent ce qui se passe dans la tête des gens, c'est comme un jeu de pistes, un fil noir qu'il suffit de faire glisser entre ses doigts, fragile, un fil qui conduit à la vérité du Monde, celle qui ne sera jamais révélée. Mon père un jour il m'as dit que ça lui faisait peur, il ne fallait pas jouer à ça, qu'il fallait savoir baisser les yeux pour préserver son regard d'enfant. Mais moi les yeux je n'arrive pas à les fermer, ils sont grands ouverts et parfois je met mes mains devant pour ne pas voir.

Le serveur revient, il pose les verres devant nous, Hoseok attrape le sien d'un geste impatient. Alors je découvre ses mains noires, ses ongles rongés jusqu'au sang, les traces de griffures sur ses poignets. Ça me fais mal au ventre.

On boit comme ça, en silence, je cherche quelque chose à dire mais rien ne vient, je le regarde, il a l'air si fatigué, pas seulement à cause des cernes sous ses yeux, ni de ses cheveux emmêlés, ni de ses vêtement défraîchis, il y a ce mot qui me vient à l'esprit, abîmée, ce mot qui fait mal, je ne sais plus s'il était déjà comme ça, la première fois, peut-être n'avais-je pas remarqué, il me semble plutôt qu'en l'espace de quelques jours il a changé, il est plus pâle ou plus sale, et son regard plus difficile à attraper. C'est lui qui parle en premier.

𝐖𝐡𝐲 𝐇𝐨𝐬𝐞𝐨𝐤 ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant