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- Monsieur Kim, je ne vois pas votre nom sur la liste des exposés.

De loin Monsieur Jeon m'observe, le sourcil levé, les mains posées sur son bureau. C'était compter sans son radar longue portée. J'espérais le durcis, le flagrant délit. Vingt-cinq paires de yeux tournées vers moi attendent ma réponse.

Le cerveau prit en faute. Kim Taehyung et Park Jimin pouffent en silence derrière leurs mains, une dizaine de bracelets tintent de plaisir à leurs poignets. Si je pouvais m'enfoncer cent kilomètres sous terre, du côté de la lithosphère, sa m'arrangerait un peu. J'ai horreur des exposés, j'ai horreur de prendre la parole devant la classe, une faille sismique s'est ouverte sous mes pieds, mais rien ne bouge, rien ne s'éffondre, je préférerais m'évanouir là, tout de suite, foudroyée, je tomberais raide de ma hauteur, les Converses en éventail, les bras en croix, Monsieur Jeon écrirait à la craie sur le tableau noir: ci-gît Kim Namjoon, meilleur élève du lycée, asociale et muet.

- ...J'allais m'inscrire...
- Très bien. Quel est votre sujet?
- Les sans-abris.
- C'est un peu général, pouvez-vous préciser?

Seokjin me sourit. Ses yeux sont immenses, je pourrais me noyer à l'intérieur, disparaître, ou laisser le silence engloutir Monsieur Jeon et toute la classe avec lui, je pourrais prendre mon sac Eastpack et sortir sans un mot, comme Jin sais le faire, je pourrais m'excuser et avouer que je n'en ai pas la moindre idée, j'ai dit ça au hasard, je vais y réfléchir, et puis j'irais voir Monsieur Jeon à la fin du cours pour lui expliquer que je ne peux pas, un exposé devant toute la classe c'est tout simplement au dessus de mes forces, je suis désolé, je fournirais un certificat médical s'il le faut, inaptitude pathologique aux exposés en tout genre, avec le tampon et tout, je serais dispensé. Mais Soekjin me regarde et je vois bien qu'il attend que je m'en sorte, il est avec moi. Il se dit qu'un gars dans mon genre ne peut pas se ridiculiser devant trente élèves, son poing sérré, un peu plus il le brandirait au-dessus de lui comme les supporters de foot encouragent les joueurs, mais soudain le silence pèse, on se croirait dans une église.

- Je vais retracer l'itinéraire d'une personne sans abris, sa vie, enfin...son histoire. Je veux dire...comment elle se retrouve dans la rue.

Ça frémit dans les rangs, on chuchote.

- Très bien. C'est un très beau sujet. On recense chaque année de plus en plus d'homme ainsi que de femme en errance, et de plus en plus jeunes. Quels sources documentaires pensez-vous utiliser, Monsieur Kim?

Je n'ai rien à perdre. Ou tellement que ça ne se compte pas sur les doigts d'une main, ni même dix, ça relève de l'infiniment grand.

- Le...le témoignage. Je vais interviewer un jeune homme SDF. Je l'ai rencontrée hier, il a accepté.

Silence recueillis.

Sur sa feuille rose, Monsieur Jeon note mon nom, le sujet de mon exposé, je vous inscris pour le 10 décembre, ça vous laisse le temps de faire des recherches complémentaires, il rappelle quelques consignes générales, pas plus d'une heure, un éclairage socio-économique, des exemples, sa voix se perd, le poing de Jin s'est désserré, j'ai des ailes invisible, je vole au dessus des tables, je ferme les yeux, je suis léger comme un soupire.
La sonnerie retentit.
Monsieur Jeon nous autorise à sortir, je range mes affaires, j'enfile ma veste, il m'interpelle.

- Monsieur Kim, j'aimerais vous dire deux mots.

C'est mort pour la récréation. Il m'a déjà fait le coup, deux mots dans sa numération personnelle, ça se compte en milliers.
Les autres traînent pour sortir, ils aimeraient bien savoir.
En attendant je regarde mes pieds, mon lacet est défait, comme d'habitude. D'où vient qu'avec un Q.I. de 148 je ne suis pas foutue de faire un lacet?

𝐖𝐡𝐲 𝐇𝐨𝐬𝐞𝐨𝐤 ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant