TRENTE-QUATRE

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Une voix brise le vacarme de l'orage mais je ne l'entends pas vraiment. Avançant sous la pluie, je suis coupée du monde, j'ignore tout ce qu'il y a autour et je m'en contente parfaitement. La rue de chez Connor est vide et inondée, parfaite pour marcher sans but.

— Angie !

La poitrine en feu, je me retourne et fais alors face à Tyler, arrivant avec affolement vers moi.

— C'est dangereux ! crie-t-il pour couvrir la pluie.

— Et alors ?

Alors que je lui tourne le dos pour repartir, il m'attrape le bras.

— Lâche moi ! pesté-je en me libérant férocement le poignet.

Je fais un pas en arrière, le considérant avec une fureur que je déteste ressentir. Je tremble de tout mon long, le froid de la pluie infiltrant mes vêtements. Je le regarde dans les yeux, et ce que j'y vois me fait l'effet d'une lame enfoncée dans mon cœur.

— Pourquoi tu débarques d'un coup ? craché-je. Tu ne pouvais pas parler plus tôt ?

— Qu'est-ce que tu voulais que je dise ?

J'affaisse les épaules, désemparée. Évidemment qu'il n'avait rien à dire. Les bras ballants, je secoue la tête. J'espère qu'il ne voit pas les larmes perlant à mes yeux. Je compte sur la pluie pour masquer toute ma peine.

— Qu'est-ce que tu fais, Tyler ? lui demandé-je, épuisée.

Il passe les mains sur son visage, et je remarque qu'elles tremblent. Je préférerais mettre cela sur le compte du froid, mais je vois bien que ce n'est pas le cas.

Quand il pose de nouveau ses yeux sur moi, il a l'air plus perdu encore que je le suis.

— Je ne voulais pas que tu partes, lâche-t-il d'une voix étranglée. Pas comme ça, pas aussi vite.

— Tu voulais que je reste pour quoi faire ? Être dévisagée et engueulée ?

Ma voix est dure, mais je m'oblige à ne pas faiblir. J'ai bien vu la peur dans son regard, la rancœur en lui. J'ai bien vu comme il détestait notre relation, comme il m'en voulait, et comme il s'en voulait.

— Je... bafouille-t-il. Je ne sais juste plus... Tu vas faire quoi, là ? Arrêter de nous parler ? Disparaître ?

Je hausse les épaules, mordant mes lèvres pour les empêcher de trembler. Les yeux fermement accrochés aux siens, je me force à répondre, écartant la sensation affreuse de mon cœur brûlant dans ma poitrine.

— Je ne sais pas, Tyler. Arrêter de mentir, déjà. Et après...

Je m'arrête, incapable de mettre des mots sur mes pensées. Mon esprit me paraît s'être figé. Le silence chaotique qui nous enveloppe résonne dans ma cage thoracique, me donnant simplement envie de me laisser tomber à terre. Je n'en peux plus d'être aussi pesée.

— Ce que tu as dit... finit-il par souffler. Tu... tu es vraiment reconnaissante ?

Je souffle du nez, malgré moi amusée par la question. La réponse est pour moi si évidente.

— Grâce à vous, déclaré-je, j'ai redécouvert la vie. Alors oui, je suis vraiment reconnaissante, Tyler. Qu'est-ce que tu veux que je te dise de plus ?

Au lieu de me répondre, il secoue la tête et m'attire vers lui par surprise. Je serre les poings et fais mine de le repousser, mais ses bras qui se referment autour de moi m'amènent déjà dans une étreinte irrésistible. Je ferme les yeux, paralysée, repoussant de toutes mes forces les larmes qui remontent dans ma gorge. Il me serre contre lui sans un mot, ses mains provoquant mille frissons dans mon dos. Je hais à quel point il est imprévisible. Je hais ce que je ressens, et encore plus ce qu'il me fait comprendre. Lui aussi est en perpétuelle lutte, contre moi, contre lui-même. Il veut me rejeter car c'est le plus simple, mais m'attire dans ses bras parce qu'il en a besoin. Voilà ce qu'il trouvait injuste. Ce combat ridicule contre quelque chose dont nous voulons tous les deux. Cette haine de l'amour, cette peur de l'autre. Je n'ai jamais eu aussi mal dans ses bras qu'à cet instant.

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