TRENTE-CINQ

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La sérénité. Est-ce ce que je vais enfin toucher du doigt ? Je ne suis pas naïve. Il me faudra bien plus pour l'atteindre. Mais peut-être que j'y aurai droit, finalement.

D'un geste hasardeux, je caresse le sable et perds mon regard dans la contemplation de ses grains qui coulent le long mes doigts. En poussant un soupir, je détache mes cheveux et observe la mer qui s'étend devant moi sous le crépuscule. J'ai passé la journée à vagabonder après mon ultime interview. Je crois qu'elle sera diffusée à la télé, mais je ne tiens pas vraiment à y assister. Mes paroles ne voudront sûrement rien dire.

Je sens que le poids qui m'accablait s'est apaisé. Il n'est pas encore parti, il ne partira d'ailleurs peut-être jamais. Mais me sentir enfin un peu légère est un luxe que j'accepte avec un plaisir. Être moi-même de nouveau me fait bien plus de bien que je n'aurais osé me l'avouer.

Plus rien ne me retient ici, je crois. Enfin, c'est ce que je me force à ressentir. Car malgré tous mes efforts, l'envie d'aller les confronter une dernière fois essaie toujours de se frayer un chemin dans mon esprit. Mais je me suis déjà rappelée à l'ordre, et je le ferai jusqu'à mon départ. Si je les revois, je retournerais dans mes travers. Je demanderai plus de leur attention, de leur amour, de leur pardon. Je ne pourrai pas les regarder dans les yeux et leur dire simplement au revoir. Alors je préfère partir ainsi, pleine de remords mais pleine de reconnaissance.

Lentement, je me lève et avance jusqu'au bord de l'eau, qui caresse vite mes pieds nus. Je pousse un long soupir, soulagée ou mélancolique - peut-être les deux.

Les vagues sont douces, sereines. La douce lumière du soir peint l'eau de ses reflets. Je crois que la mer me manquera particulièrement. Elle est toujours belle, imprévisible, aussi apaisante que redoutable. Elle renferme d'innombrables secrets, s'habille de mille apparences. Depuis mon balcon, je la regardais parfois sans trop la voir. Mais sans doute a-t-elle murmuré dans mes oreilles plus d'idées que je ne saurais le deviner.

Je ne me rends pas compte quand la première larme coule le long de ma joue, ni quand les sanglots remontent dans ma gorge. Lorsque je prends conscience de la pression dans mon cœur, je suis déjà en train de pleurer. J'essuie de mains tremblantes mon visage humide, sans trop comprendre pourquoi l'émotion est si forte à cet instant.

Puis, agrippant ma poitrine, je repose un regard brouillé de larmes sur l'étendue infinie qui me fait face. Et, en fixant l'ondulation du ciel miroitant sur l'eau, je comprends. Je viens de dire adieu. À la mer, à mes secrets. Je viens de dire adieu à mon ancienne moi qui, des semaines auparavant, se jetait dans les vagues pour en finir. Je viens aussi de dire adieu à Malia, qui, je crois, vient de rejoindre les eaux éternelles. Finalement, c'était peut-être là, sa place. Elle ne sera à présent plus qu'un murmure parmi d'autres, une histoire emportée par l'océan.

Je n'ai plus rien à faire ici. Plus rien à raconter. Ma place n'est pas ici.

Je ferme les yeux en me forçant à sourire. Je pleure, mais je veux que mon corps ressente le soulagement qui, au fond, est bien réel. Je pleure car j'accepte la tristesse et les regrets, mais je souris parce que je veux me persuader que l'avenir qui m'attend sera plus beau.

Dans le noir derrière mes paupières, je vois des images défiler, et des frissons parcourent mon cœur, mes bras, ma bouche. J'ai eu tendance à écarter ces images, mais il est grand temps que je les accepte. Alors tout se bouscule, dans un désordre familier. Je revois leurs visages à tous. Ceux de mes parents précèdent ceux de Tyler et d'Hailey, celui de ma soeur se noie parfois sous ceux de Joy et Ally. Je vois le sourire de Cameron, les yeux de Jason, même le regard noir de Connor. Je les revois tous rire, s'énerver, danser. Je revois mes parents s'enlacer, ma soeur embrasser Matt. Je revois April à la table de notre cuisine. Je revois les salles du lycée, l'herbe sur laquelle tout le groupe s'affale souvent. Je revois le balcon de Tyler, et sens sa bouche sur la mienne. L'étreinte chaleureuse de mes amies m'enveloppe les épaules, leurs voix m'emplissent les oreilles.

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