18 | LUCIFER

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Mon affrontement avec Gabrielle n'avait plus rien d'une lutte d'égo. Maintenant, la faire fuir était la condition pour que je survive.

J'avais cru anticiper tous les coups bas de mon père mais je n'aurais jamais pu venir voir celui-là. C'était déloyal de sa part de se jouer de moi de la sorte. Il se moquait de ma souffrance, n'avait que faire de la douleur que c'était de porter sans cesse un masque de cruauté bien trop lourd. Les fissures avaient tendance à s'agrandir quand je prenais conscience que pour eux, je n'avais jamais fait partie de la famille.

J'étais son fils et des millénaires après, il continuait de me faire payer mes actes. Les autres, il avait tous fini par les pardonner. Les autres, il s'était battu pour les sauver et moi, moi, il continuait d'entretenir la pointe de la souffrance dans mon cœur.

Il était facile de faire le mal, de devenir un monstre parce qu'il suffisait de faire l'inverse de ce qu'il aurait pu attendre de moi. C'était simple de devenir un apôtre du mal, de devenir le mal lui-même mais c'était tellement plus dur de cacher ses failles et ses plaies du regard des autres.

J'avais cru qu'il s'arrêtait un jour. M'envoyer Gabrielle, dans un sens, c'était une manière de combler ma solitude mais je comprenais mieux maintenant. La mission n'était pas de me séduire, c'était de m'amener ce collier au pendentif usé par les larmes.

J'avais renvoyé toute mon escorte en Enfer et m'étais égaré dans les rues, le temps de digérer la nouvelle. Je n'avais pas la force de revenir tout de suite et d'affronter la traîtresse qui venait me rappeler mon malheur. Parfois, j'en avais assez de la pression que me donnait mon nom, mon statut, ma réputation.

J'aimais dominer, je me délectais de la terreur des autres mais je n'étais pas capable d'affronter la mienne. J'étais un enfant piégé dans le corps d'un monstre, un fils qui voulait que son père l'aime, un homme qui voulait l'entendre mourir sous ma rage. J'avais besoin que quelqu'un voit que, derrière le masque, il y avait toujours le jeune homme abandonné par ceux qu'il aimait.

Ma promenade nocturne m'aidait à clarifier mes pensées et me dictait la marche à suivre. Gabrielle ne pouvait pas rester. Le coup qu'elle venait de me porter était si puissant que le suivant serait forcément fatal. Le problème majeur était qu'elle me plaisait bien trop pour que j'arrive à lui en vouloir assez.

Plus que tout, je n'avais pas envie qu'elle me haïsse : je me détestais déjà bien assez pour nous deux.

     

    

     

De retour à la maison, je me retrouvai incapable de me séparer du sinistre médaillon que je ne cessais de faire tourner entre mes doigts. Le salon était vide et plus rien ne semblait à sa place depuis que Gabrielle s'y était installée.

Partout, je voyais des traces de son passage et, seul dans la pièce, je ne pouvais m'empêcher de me demander si elle méritait vraiment ma colère. Elle était l'instrument de mon père et je la méprisais pour ça mais, moi aussi, je comptais l'utiliser pour atteindre Eden. C'était lâche mais, à dire vrai, être cruel avec elle m'évitait de devoir affronter cette garce de vérité en face.

J'étais trop blessé pour jouer à la loyale. J'allais respecter son stupide pacte et lui donner ce qu'elle attendait de moi mais elle en viendrait vite à regretter de ne pas avoir fait plus attention aux mots qu'elle avait employés. J'allais lui faire payer le prix de sa fourberie avant de plier le premier. J'allais devoir gagner avant qu'elle ne me fasse perdre.

Aucun démon ne se risqua à m'importuner à cette heure tardive et j'eus tout le loisir d'attraper une bouteille de scotch pour en siffler le contenu directement au goulot. J'avais besoin d'oublier la réalité pour rester celui que j'étais. L'alcool m'aidait à colmater les brèches et à faire taire le passé.

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant